Peut-on encore croire à l’histoire ?

Emission « Répliques » sur France Culture du 6 avril 2013 présentée par Alain Finkielkraut avec François Hartog, historien, directeur d’études à l’EHESS, qui vient de publier « Croire en l’histoire » (Flammarion, 2013), et Michaël Foessel, maître de conférences en philosophie à l’Université de Bourgogne à Dijon, auteur de « Après la fin du monde : critique de la raison apocalyptique » (Seuil, 2012).

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Le sens de l’histoire, chronique de Brice Couturier du 4 avril 2013

A relire les attaques de Karl Popper, de Raymond Aron, ou de Leo Strauss, contre l’historicisme, on réalise combien, en un demi-siècle, nous avons changé d’époque. Une partie du stock d’idées qu’ils combattaient s’est simplement évanoui. Personne ne croit plus aujourd’hui que la découverte des « rythmes », des « motifs », de « séries », encore moins des « lois » de l’histoire, permettrait d’en permettre de déterminer le cours. « Pourquoi tant d’historiens inclinent-ils à tenir le passé pour fatal et l’avenir pour indéterminé ? », se moquait Aron.

Les philosophies de l’histoire, qui présupposaient l’existence d’un « sens de l’histoire », indépendant de la volonté consciente des acteurs, mais accessible à quelques initiés, détenteurs d’une science infaillible, ont échoué dans de grandes largeurs. Elles s’étaient simplement trompées sur le but final. « Nous disposons de centaines, que dis-je, des milliers de livres, en toutes les langues, qui nous expliquent comment s’effectue la transition inéluctable du capitalisme au socialisme ; mais il n’y en a aucun qui nous explique comment passer du communisme au libéralisme – l’objet même de ce qu’on appelle à présent transitologie », me disait, ironique, un universitaire polonais, il y a une vingtaine d’années.

Nous savons, nous, qu’il n’y a de processus porteur d’une rationalité secrète ; pas non plus d’ultime étape, de « fin de l’histoire », livrant enfin le sens de son développement. Personne ne croit non plus que l’histoire couronne le vainqueur nécessaire, qu’elle constitue un tribunal de la raison, encore moins qu’elle soit la voie d’un salut, d’une réconciliation finale et définitive des hommes, des classes, des nations. Cela rend certains sceptiques et pessimistes. Nous sommes passés, en une génération, de l’utopie au désenchantement, pour emprunter à Claudio Magris. Comme souvent, à une génération emportée par l’illusion lyrique d’un recommencement radical, a succédé une autre qui ne veut plus voir dans l’histoire « qu’une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur. Et qui ne signifie rien. »

François Hartog a bien posé la question dans son dernier livre : croyons-nous encore l’histoire ? La « fermeture du futur », le remplacement de l’histoire par les mémoires conflictuelles, en lutte pour la reconnaissance, semblent nous condamner à un présent définitif, si l’on en croit François Hartog, qui définit comme « présentiste » notre « régime d’historicité ». Refusant au nom d’une prétendue supériorité morale du présent, l’espace d’expérience légué par le passé, ne nous projetant plus non plus sur un horizon d’attente qui a trop déçu, nous aurions tendance à évoluer dans un espace à une seule dimension. Ou plutôt, nous mobilisons, au jour le jour, les bribes de passé, les pressentiments de futur dont nous avons besoin, vite remplacés par d’autres.

Et c’est là que nous retrouvons une autre partie de l’historicisme, celle qui perdure aujourd’hui. En effet, nos contemporains n’ont pas rompu avec l’idée selon laquelle chaque génération a bien le droit de réinterpréter l’histoire selon l’angle de ses propres besoins de sens. Elle persiste aussi à s’imaginer moralement supérieure aux précédentes et à s’arroger le droit de juger leurs actes sur la base de ses préjugés du moment. Ce faisant, elle tombe dans le travers maintes fois dénoncés par les adversaires de l’historicisme : en proclamant qu’il n’est d’autre « vérité » que celle du moment, il ne saurait s’exempter d’une telle loi. Il s’expose donc, de la part de ses descendants, aux critiques et aux sarcasmes dont il accable ses devanciers. « J’évite autant que possible de me lier aux slogans du jour, aussitôt remplacés », écrivait Witold Gombrowicz.

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