A quoi servent les tablettes à l’école ?

Article écrit par Maryline Baumard publié sur lemonde.fr le 5 juin 2013

Le ministre parle. Les conseils généraux paient. Ainsi vont les nouvelles technologies dans l’école française…

Alors que Vincent Peillon tentera une nouvelle fois, le 10 juin, de convaincre qu’il lance bien plus que le énième « plan numérique », les conseils généraux, eux, continuent leur distribution de machines aux collégiens. Comme hier ils offraient un dictionnaire ou une calculatrice !

Cela coûte les yeux de la tête, mais en bons politiques, ils escomptent un retour dans les urnes. Et parfois, ça marche plutôt bien. Pour preuve, le destin d’un des précurseurs dans la distribution de tablettes électroniques. Dès 2010, du fond de la Corrèze qu’il présidait alors, un certain François Hollande avait doté 2 500 collégiens et 800 enseignants d’une ardoise numérique…

Si le président de la République est l’un des premiers à avoir parié sur l’objet tactile en classe, la liste est désormais longue des collectivités qui en équipent les adolescents. Dans le camp d’en face, celui des pro-ordinateurs, le précurseur est le département des Landes, qui a commencé sa grande distribution dès 2001.

On croyait que le vrai sujet était le choix entre le tactile et la souris. On se serait bien refait la querelle des anciens et des modernes si l’Amérique n’avait sifflé la fin de la partie, nous rappelant que, quelle que soit l’option choisie, c’est… la mauvaise.

FRÉNÉSIE MONDIALE

Equiper un enfant d’un ordinateur personnel n’augmente pas sa réussite scolaire, viennent de conclure deux scientifiques américains, Robert W. Fairlie et Jonathan Robinson, à l’issue d’une longue étude publiée le 29 mai par le National Bureau of Economic Research.

C’est la frénésie mondiale en matière d’équipement des écoles qui a interpellé les chercheurs. Les établissements américains y ont déjà dépensé 5 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros), une manne abondée par 2 milliards de dollars venus de l’Etat fédéral. La Grande-Bretagne, elle, a dépensé 194 millions de livres (226 millions d’euros) pour offrir 300 000 machines à ses adolescents…

En France, on ne connaît pas le montant de la facture, mais les seuls contribuables des Landes ont déjà laissé 52 millions d’euros dans cette opération, depuis 2001 ; ceux du Val-de-Marne (qui s’est lancé dans l’opération à la rentrée 2012) y consacreront 25 millions d’ici trois ans…

Ces dépenses sont colossales au regard de la recommandation du Bureau national d’économie américain, qui accompagne le travail des chercheurs : « L’Etat doit faire preuve de prudence et être réaliste quant à l’efficacité des politiques visant à réduire l’écart digital entre les élèves des familles favorisées et les autres. »

Pour arriver à cette conclusion, les économistes ont organisé leur propre distribution d’ordinateurs à 1 123 enfants de 15 écoles californiennes pendant qu’autant d’adolescents aux caractéristiques sociales, raciales et scolaires équivalentes continuaient leur scolarité à l’ancienne. Ces derniers n’étaient pas privés d’écran puisque les écoles publiques américaines sont dotées d’un ordinateur pour trois élèves, mais vivaient dans des foyers non connectés (comme c’est le cas de 27 % des familles américaines qui ont un enfant entre 10 et 17 ans).

PAS UNE NOTE QUI AIT BOUGÉ

Après deux années scolaires dans certaines écoles – une seule dans d’autres –, les deux économistes n’ont observé aucun effet pour les élèves équipés. Pas une note qui ait bougé, ni à la hausse ni à la baisse. L’étude de Fairlie et Robinson montre que ces enfants ont passé un peu plus de temps sur leurs devoirs que ceux privés de matériel, mais pas assez pour que cela ait un impact.

Ils ont aussi profité de l’écran magique pour jouer et communiquer. Ainsi, le groupe témoin – celui qui n’a pas bénéficié de la distribution d’ordinateurs et n’en dispose pas chez lui – a passé en moyenne 4,2 heures hebdomadaires sur un écran interactif, à l’école, à la bibliothèque ou chez les copains.

Ceux qui ont reçu un ordinateur y ont quasiment passé 2 heures et demie de plus chaque semaine. Un temps supplémentaire réparti entre 50 minutes de travail scolaire, 50 minutes de jeux et 35 minutes de réseaux sociaux. Même s’ils passent un peu plus de temps sur leurs devoirs, l’ordinateur n’est pas un outil d’approfondissement du travail, ni un outil de culture.

Les inspecteurs généraux qui ont analysé les effets en France du plan « Un collégien, un ordinateur portable » du département des Landes, ont fait la même observation que nos deux chercheurs américains.

QUESTIONS SANS RÉPONSE

A la limite près qu’ils ont des données qualitatives et pas quantitatives (et n’avaient pas de groupe témoin), mais ils concluent dans leur rapport que le temps passé à répondre à la demande des enseignants (c’est-à-dire à faire ses devoirs) contribue à limiter les usages ludiques qui restent toutefois élevés pour un grand nombre d’élèves. Même constat des inspecteurs généraux pour l’expérience corrèzienne !

Soit on s’en tient à une interprétation négative de ces expériences. Soit, au contraire, on estime que le jeu, par exemple, est un outil d’éducation, lui aussi. Les chercheurs américains reconnaissent n’avoir pas étudié les autres impacts de la possession personnelle d’un ordinateur.

Est-ce qu’on ne travaille pas son orientation en ligne ? Est-ce qu’on n’ouvre pas un peu son horizon en surfant ? Est-ce que se sentir dépositaire de cet objet n’empêche pas l’école buissonnière ?

Autant de questions toujours sans réponse qui, rassurons-nous pour la France, n’empêcheront pas les conseils généraux de continuer à distribuer leurs cadeaux !

Maryline Baumard

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