Une mondialisation sans redistribution nous mènera au chaos

Extraits choisis d’un entretien avec Branko Milanovic, ancien chef économiste de la Banque mondiale, publié le 29 mai 2014 sur le site de Marianne.
Propos recueillis par Emmanuel Lévy.

« Si l’on prend la planète comme un tout, le processus de mondialisation s’est traduit par une forte hausse du revenu pour un grand nombre de travailleurs principalement situés dans des pays comme la Chine. Mes travaux montrent qu’entre 1988 et 2008 les revenus nets de cette « nouvelle classe moyenne mondiale », composée de centaines de millions de travailleurs, ont fortement progressé, de près de 80 % en termes réels. Idem pour une superélite, le fameux « top 1 % », les 1 % les plus riches de la planète, qu’on trouve dans les pays émergents comme dans les pays de l’OCDE. En revanche, deux autres types de population ont souffert. Il y a évidemment les laissés-pour-compte de la mondialisation, les très pauvres dans les pays très pauvres. Mais, ce qui est inattendu, c’est que les perdants sont aussi les populations qui disposaient d’un revenu qui les plaçait auparavant entre les très riches et cette nouvelle classe moyenne mondiale, c’est-à-dire la population des classes moyennes et populaires des pays de l’OCDE.

L’alliance de fait entre les « gagnants » — les élites des pays riches et les classes moyennes des pays émergents — les place en situation de rupture avec les classes populaires au sein de leur propre pays. Si vous y ajoutez l’accumulation d’un patrimoine gigantesque pour le top 1 %, et ses stratégies de séparatisme social, cette divergence d’intérêts vis-à-vis de l’ouverture économique, l’autre nom de la mondialisation, est à mon sens un grand danger pour les démocraties. Il peut se résumer au concept des deux P : populisme et ploutocratie.

Pour accompagner la mondialisation, les Etats européens devraient mettre l’accent sur la redistribution. Faire en sorte que les grands gagnants partagent les bénéfices avec les perdants. A mon sens, l’économiste Dani Rodrik voit juste : seul l’Etat-providence est à même de permettre une acceptation du processus de mondialisation en repêchant les perdants.

Et, cependant, c’est tout le contraire que l’on observe. Les politiques d’austérité minent les ressources de l’Etat-providence, et cela s’aggrave avec la concurrence fiscale, qui a conduit à la réduction des taux d’imposition pour les plus aisés, comme l’a remarquablement montré Thomas Piketty.

Mais il y a pis. Cela se conjugue avec l’offre populiste. Laquelle, surfant sur le désarroi des classes populaires, risque de conduire à leur abandon de l’Etat-providence, alors qu’elles en sont les principales bénéficiaires.
La quasi-totalité des études sérieuses montrent que les pauvres gagnent beaucoup grâce aux prestations chômage et aux aides sociales. Les classes populaires en retirent plus d’avantages encore par le biais des prestations de santé, d’éducation ou de retraite. Et, plus que tout, l’assurance d’être à l’abri de la pauvreté. C’est d’ailleurs ce qui explique la différence de position des couches les plus faibles entre l’Europe et les Etats-Unis, différence qui se fait en faveur de l’Europe, bien sûr. » (Branko Milanovic)

Lien vers l’entretien dans son intégralité

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