La crise idéologique du socialisme

Compte-rendu écrit par Martin Dekeyser et publié dans Résolument jeunes, n°30, mars-mai 2010.
Le philosophe et historien Marcel Gauchet inaugurait samedi 6 février 2010 un cycle de conférences consacré au socialisme organisé par le CePPecs en partenariat avec RESOJ/ProJeuneS (Fédération des jeunes socialistes et progressistes), la FBJS (Fédération Bruxelloise des Jeunes Socialistes), les Jeunes Socialistes d’Anderlecht et l’ISFSC  (Institut Supérieur de Formation Sociale et de Communication). L’enregistrement audio de la conférence est disponible ici.

Pourquoi faut-il s’interroger sur le sens de l’idée socialiste ? Gauchet formule l’hypothèse d’une remise en question au mieux, d’un effondrement au pire, de l’ensemble des supports sur lesquels s’appuyait le croyable et le pensable socialiste. Sous l’effet de l’évolution de nos sociétés depuis la seconde moitié des années septante, le socialisme, tant dans sa branche révolutionnaire ou communiste que réformiste ou sociale-démocrate, est entré dans une profonde crise idéologique indépendante de ses succès comme de ses échecs électoraux, crise dont il faut comprendre les tenants et les aboutissants.

Le noyau de l’idée socialiste reposait sur deux piliers qui se sont écroulés sinon fortement érodés.

En premier lieu, le socialisme a perdu son acteur historique privilégié, le prolétariat, et le facteur de transformation sociale associé à celui-ci, la lutte de classes.

Le développement de la protection sociale et de la croissance économique mais aussi l’intégration politique des classes ouvrières a mené à la déprolétarisation des milieux populaires. La marginalisation de la production dans le fonctionnement collectif au profit de la dimension financière et capitalistique mais aussi d’autres activités à l’intérieur de l’entreprise – la conception en amont, la commercialisation en aval – a mis fin à la centralité de la classe des producteurs.

Celle-ci a perdu sa conscience de classe une fois son objectif atteint de liquidation de l’ancienne structure hiérarchique, le tout sur fond d’un brouillage de la structure de classe objective de la société. Les masses se sont dissoutes en autant d’individualités, évacuant l’antagonisme de classe comme pivot de la dynamique de changement social. Cet effacement a également transformé la signification du salariat qui a cessé d’être la figure à abolir de la domination politique pour devenir le moyen plébiscité d’une participation à la vie commune garante de l’indépendance personnelle.

En second lieu, le socialisme a perdu l’assurance d’être au moteur de l’histoire et du changement social du fait de l’échec ou de la perte de confiance dans ses moyens – la socialisation des forces productives, les outils intellectuels et organisationnels assurant la maîtrise du devenir, les capacités de l’Etat – mais aussi à cause de l’effacement de son but.

La pente qui semblait naturelle du capitalisme vers la concentration monopolistique, assurant de la sorte une socialisation croissante de la production, s’est inversée au milieu des années 1970 du fait, d’une part, d’une réorientation de l’économie en fonction de l’innovation et, d’autre part, de la croissance continue des échanges internationaux qui a amorcé un mouvement de déconcentration concurrentielle des marchés nationaux.

Après trente années de consécration de notre foi dans la maîtrise du futur, la crise consécutive au choc pétrolier de 1973 a déjoué les prévisions techniques et fait défaillir les outils de gestion collective et de régulation économique. La rationalité de l’Etat comme le caractère désintéressé de ses agents ont été progressivement remis en doute. L’avenir cessant d’être figurable, la crise des instruments permettant d’en percer le mystère va amorcer le retour des marchés comme technique indépassable de gestion des incertitudes.

Enfin, le caractère souhaitable de la dissociation de l’Etat et de la société civile, l’échec de l’expérience collectiviste soviétique mais aussi le constat que la pénétration de la connaissance dans la gestion collective est plutôt source d’opacité et de dépossession que de transparence et de réunion avec soi vont peu à peu défaire la perspective d’une fin de l’histoire sous le signe de la communion humaine.

Au final, si l’objectif d’une société plus juste et plus démocratique conserve toute sa pertinence, force est de constater qu’il nous faudra pour y atteindre d’autres outils que ceux que l’évolution de nos sociétés a mise en défaut.

Martin Dekeyser

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