Qu’est-ce que la cyberdépendance ?

Article écrit par Jean-Marie Lacrosse et publié dans Résolument jeunes, n°28, septembre-novembre 2009.

A plusieurs reprises ces derniers temps (1), j’ai été interviewé sur le phénomène « nouveau » que constituerait la cyberdépendance, déclinée sous plusieurs noms comme « accros d’internet », dépendances aux jeux vidéos, etc. Un phénomène, on s’en doute, en pleine expansion qui suscite une inquiétude spécifique, celle de favoriser chez les adolescents, les passages à l’acte violents.

A chaque fois, j’ai tenté de défendre une idée simple : si l’on veut comprendre quelque chose à la cyberdépendance, il faut d’abord se demander ce qu’il en est de la dépendance en général, le passage du général au particulier restant, nonobstant la phobie du général dont nous faisons preuve en ce moment historique assez étrange, la meilleure manière de tenter d’y voir clair. Non pas, je le précise, que la nouveauté en question, en l’occurrence Internet, serait à considérer comme un élément purement extérieur. Au contraire, la technique nouvelle change en profondeur les données du problème. On ne peut réduire ces changements à de simples modifications de l’environnement, mot fréquemment utilisé mais qui induit une perception tronquée. En réalité, ce qui est déterminant, ce sont les changements qui interviennent dans le monde subjectif des individus et c’est à partir de cette dimension subjective que nous pouvons le mieux saisir la montée en puissance des addictions dans le monde contemporain, la dépendance ou l’addiction en général étant un phénomène qui relève d’abord de la subjectivité humaine.

Médicalisation, anthropologisation

Et d’abord, faut-il dire addiction ou dépendance ? Difficile de trancher. Le vieux mot de dépendance éveille aussitôt des connotations métaphysiques et politiques par son association avec la sacro-sainte volonté d’indépendance qui caractérise les hypermodernes que nous sommes. Le mot de dépendance lui-même amène à poser un problème philosophique profond que je me contenterai d’évoquer ici : l’indépendance juridique et politique que nous avons conquise ne nous place-t-elle pas dans une forme paradoxale de dépendance, la dépendance psychique vis-à-vis de nous-mêmes (ce que nous appelons couramment narcissisme) ? Nous pouvons être fiers d’avoir aboli l’esclavage mais quant à l’abolition de l’esclavage vis-à-vis de nous-mêmes, nous paraissons plutôt nous en éloigner. Voilà un problème qui demanderait une réflexion sérieuse : plus nous devenons juridiquement indépendants, plus nous sommes psychiquement dépendants non seulement vis-à-vis de nous-mêmes mais également vis-à-vis des autres.

La francisation de l’anglais addiction ajoute, elle, une nuance intéressante : celle d’un comportement compulsif, celle donc d’un sujet activement impliqué dans ces comportements. Quoi qu’il en soit, les deux mots en sont venus peu à peu à supplanter celui de toxicomanie, lorsqu’il est apparu que les modèles de comportement liés aux substances psychotropes s’appliquaient à un domaine bien plus vaste que celles-ci. La question de savoir s’il faut ranger dans la même catégorie les toxicomanies liées à un produit particulier et les addictions comme celle qui nous concerne reste controversée et n’est tranchée clairement ni par le DSM III (qui date de 1980) ni par le DSM IV (qui date de 1994), le DSM V étant attendu pour 2011 (2).

De notre point de vue, disons plus anthropologique, on peut constater une sorte de mouvement général s’appliquant à différents domaines de la pathologie mentale : une première phase qui correspond à la médicalisation d’un trouble mental et à l’élaboration de classifications analytiques de plus en plus spécifiques (les DSM que je viens d’évoquer s’inscrivent dans cette ligne) qui élargissent sans cesse par cercles concentriques le champ des troubles mentaux (ainsi, un premier cercle comprend la psychose, à laquelle viennent s’ajouter d’abord les névroses et les perversions, puis les toxicomanies, délinquances, boulimies, anorexies, etc). Le mot toxicomanie a d’ailleurs été forgé pour rassembler une série de « manies » (à l’héroïne, à la cocaïne, à l’alcool, etc) lorsqu’on s’est rendu compte vers la fin du 19ème siècle que souvent, dans les cas lourds, ces « manies » s’additionnaient chez les mêmes personnes (le mot polytoxicomanes fréquemment utilisé aujourd’hui est en fait une tautologie).

Suit, ou suivra sans doute, une deuxième phase encore mal repérée, en laquelle on pourrait voir une « anthropologisation » de la pathologie mentale qui procède à l’inverse par déspécification. Ces cercles concentriques successifs finissent, à force de s’élargir, par recouvrir une gamme de comportements de plus en plus répandus, les ressemblances qu’ils présentent avec des comportements normaux se faisant ainsi de plus en plus criantes. Il devient alors évident qu’une redéfinition du normal et du pathologique s’impose. Nous sommes, me semble-t-il, au beau milieu de ce gué : le normal, selon la formule de Jean-Pierre Dupuy, contient le pathologique au double sens du mot contient. Il le retient bien sûr mais aussi le renferme, la pathologie mentale devenant alors une question de degré et de seuil. Pour prendre un exemple, nous avons tous, à un moment où l’autre, des tendances paranoïdes sans devenir pour autant paranoïaques. Mais à l’inverse, nous devenons de plus en plus conscients que ce que nous repérons de manière spectaculaire dans les pathologies mentales, chez ceux qui ont « pété les plombs » comme nous disons familièrement, existe à l’état diffus et donc moins facilement observable dans la vie psychique ordinaire.

Ainsi, pour illustrer un peu la démarche, ce ne sont pas seulement les maladies mentales qui sont bipolaires (manie/dépression, paranoïa/schizophrénie), c’est toute notre vie psychique qui est structurée par des oppositions et des contradictions béantes et qui risque toujours de se « polariser » ou de se « cliver ». Ainsi également, quant à ces troubles qu’on appelle névroses et perversions, nous savons tous ce qu’est le conflit intérieur, l’angoisse, la phobie, l’obsession, le sentiment d’impuissance ou de toute-puissance, etc.

Et donc, pour en revenir à notre problème de cyberdépendance, pas besoin d’être cyberdépendant pour l’éclairer et le comprendre. La dépendance ou l’addiction ne font que révéler, en les grossissant, comme si elles étaient placées sous une puissante loupe, des propriétés de notre expérience subjective normale. Pour mieux les appréhender, nous avons donc intérêt à opérer un va-et-vient mental entre ces comportements pathologiques et notre expérience normale. En ce qui concerne les addictions, on voit assez facilement, me semble-t-il, le lien que l’on peut établir entre ces comportements et des dimensions de la subjectivité qui ont été mises en évidence depuis longtemps par la philosophie et les sciences humaines.

Maladies du désir et figures de l’altérité

Mais, avant de nous aventurer sur ce terrain, il nous faut isoler avec précision le registre de l’expérience humaine dont elles relèvent. Il y a des maladies ou des pathologies de la connaissance (ou de la cognition comme on dit aujourd’hui). Manifestement, ce n’est pas de ce registre que relèvent les addictions. Elles relèvent avant tout du registre du désir. Ce sont des maladies du désir, en entendant désir dans un sens très large et très profond, bien au-delà du sexuel : l’homme est fondamentalement un être de désir.

Qu’est-ce que la philosophie a à nous dire du désir et qui est dès lors connu depuis très longtemps ? En premier lieu, qu’il y a chez l’être humain une dimension d’altérité. L’homme ne peut se satisfaire de la vie qu’il mène dans la réalité prosaïque et familière. Il n’a de cesse de vivre ailleurs, dans un autre monde. On peut même aller plus loin : l’homme préfère ce monde imaginaire au monde réel, il y trouve une jouissance infinie et il faut, selon les mots de Freud, un solide « principe de réalité » pour le ramener sur terre. Cette dimension est connue et pratiquée depuis la nuit des temps. Depuis toujours, les hommes recherchent ce que les anthropologues comme Erika Bourguignon nomment des « altered states of consciousness », qui, dans les sociétés traditionnelles, se concrétisent dans les phénomènes de transe et de possession, des phénomènes que l’on trouve dans pratiquement toutes les cultures.

Dans nos cultures, ce primat donné à la représentation sur la réalité n’a évidemment pas disparu. Pensons simplement au nombre d’heures quotidiennes que passent nos contemporains dans le monde imaginaire des séries télévisées, de Dr House à Desperate Housewives en passant par Lost et Eleventh Hour. Mais aussi à bien d’autres choses comme cette curieuse pratique que l’on a pu d’abord observer chez les touristes japonais mais qui est en train de se généraliser : des touristes qui, au lieu de regarder les gens ou les paysages des pays qu’ils visitent, préfèrent les photographier ou les filmer et revivre ensuite les expériences qu’ils ont vécues en se repassant en boucle, seuls ou entre amis, les vidéos et les galeries de photos qu’ils ont amassées tout au long de leur périple. Et qu’est-ce que l’art contemporain, particulièrement les courants événementiels et transgressifs, sinon la tentative de faire surgir au sein même des apparences familières une autre face de la réalité ?

Trois inflexions nécessaires

La prise en compte de cette dimension anthropologique dans notre réflexion sur les dépendances nous amènerait à l’infléchir dans trois directions – qui représenteraient à mon sens autant d’avantages et de gains intellectuels – que je vais essayer d’un peu détailler.

Premièrement, elle nous permettrait de trancher la question que j’évoquais tout à l’heure concernant la définition même du champ des addictions. Pour nous, addiction ou dépendance est quasi synonyme de drogue et de drogué. C’est-à-dire que nous privilégions en fait, dans la définition, le rapport objectif avec un produit plutôt que l’expérience subjective et, comme le DSM III ou IV, nous ne savons pas très bien où placer ces addictions sans substance, qui deviennent par exemple des « addictions comportementales ». Nous sommes en fait enfermés dans une définition médicale de l’addiction dont nous peinons à sortir, la référant à une population plus ou moins limitée de « drogués » ou de « toxicomanes », qu’il faut aider et soigner. Du point de vue anthropologique, les produits retrouvent clairement leur statut de moyens, des moyens subordonnés à une fin qui peut cependant être atteinte par d’autres moyens. L’héroïne produit, paraît-il, un état d’extase mais que dire alors de l’extase que produisent les endorphines chez le coureur de fond suffisamment entraîné qui s’est enfoncé dans une forêt bien fraîche par une chaude soirée d’été.

Deuxième inflexion significative. Cette perspective nous amènerait forcément à mieux prendre en compte le contexte dans lequel s’effectuent ces « prises de drogues ». De nouveau, quand nous pensons « prises de drogues », au-delà de ces populations prises en charge par la médecine et la psychiatrie, nous aurions intérêt à comprendre le contexte social à l’intérieur duquel elles s’effectuent massivement. C’est ce qu’a cherché à faire une sociologue française dans un excellent petit livre, quasi unique en son genre, « La teuf » de Monique Dagnaud (3). Dans son premier chapitre, « De la fête à la teuf », elle souligne le peu d’intérêt des sciences sociales depuis 1950 pour le phénomène des fêtes qui est par contre à l’épicentre de la réflexion anthropologique. Or les soirées déchaînées qu’elle a pris pour objet de son enquête sont loin d’être un phénomène marginal : leurs « habitués » sont en France, selon ses estimations, aux alentours de 15 % des 18-24 ans, elles occupent des plages de temps de plus en plus longues, devenant presque un mode de vie au regard duquel les activités de la semaine comme le travail et les études finissent par paraître insipides et insignifiantes. Enfin, les teufeurs sont souvent selon son expression, on pouvait s’en douter, des « experts des psychotropes et des sensations aiguës ».

Ceci nous amène à notre troisième observation. Il n’y a pas à proprement parler de toxicomanes ou de drogués dans les sociétés traditionnelles. La figure du toxicomane émerge au 19ème siècle et est médicalisée au début du 20ème siècle. On pourrait prendre comme repère de cette émergence les célèbres textes de Baudelaire sur les paradis artificiels (le vin, l’opium, le haschich) dont le titre lui-même est lourd de signification.

Dieu sait pourtant que la consommation d’alcool et de stupéfiants occupe dans les cultures traditionnelles une place bien avérée. Dans son « Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil » (1578), Jean de Léry, un pasteur calviniste que l’on peut considérer comme le premier ethnographe, raconte en détail les incroyables beuveries des Tupinamba du Brésil. « Arrière Alemans, Flamans, Lansquenets, Suisses, et tous qui faites carhous [boire à qui mieux mieux] et profession de boire par-deçà : car comme nous-mêmes, après avoir entendu comment nos Amériquains s’en acquittent, confesserez que vous n’y entendez rien auprès d’eux, aussi faut-il que vous leur cédiez en cet endroit » (p. 249).

Et en effet, « nos Amériquains » ont pour règle lors de grandes cérémonies festives de « caouiner » (boire le caouin, l’alcool de mil local) pendant des jours et des nuits jusqu’à ce que toute la production soit épuisée. Et lorsqu’ils arraisonnent un navire portugais, ils font subir le même sort en une séance festive unique à toute la cargaison de vin, « après avoir assommé et mangé tout l’équipage » ajoute de Léry.

Que dire de l’observation que fait Harner (4) quatre siècles plus tard chez les Jivaros : « une manière beaucoup plus subtile de réprimander les enfants est de leur donner du jus de maikua (un breuvage hallucinogène). Ceci se fait surtout lorsqu’un enfant manque de respect envers son père ou met en question son savoir et son autorité (…). Donner à l’enfant cet hallucinogène puissant vise à le mettre dans un état de transe qui lui permettra de voir le monde surnaturel. Il y découvrira, dit-on, que bien des affirmations de son père sur la nature de la réalité sont exactes et il aura plus de respect pour lui (…). Nous avons affaire à une culture où un parent peut menacer un enfant d’un hallucinogène s’il se tient mal ».

Etrange conception de la discipline en effet mais qui livre peut-être une clé essentielle de notre problème. Si la toxicomanie est introuvable dans les sociétés traditionnelles, c’est non seulement qu’elle est strictement codifiée et ritualisée, donc cadrée de part en part dans le temps et l’espace, mais que cette fuite hors de la réalité n’en est réellement pas une puisqu’elle nous projette dans le vrai monde, le monde invisible qui commande de part en part le monde visible. Ainsi la boucle est bouclée et cette suprême victoire du « principe de plaisir » en est une également pour le « principe de réalité ». Il y a peut-être plus de réalisme qu’on ne croit dans ce parti pris de la fantasmagorie et de l’illusion qui a dominé la majeure partie de l’histoire humaine, donnant à la religion son rôle d’organisateur de l’espace social-humain et s’assurant de la sorte une institution de l’altérité (5).

Par contraste, la formule nous fait mieux saisir la défaite du principe de réalité dans notre monde : officiellement fondé sur le soi-disant réalisme de l’économie mondiale et du calcul économétrique, le monde -économique en particulier- où nous vivons porte la déréalisation et la fantasmagorie à des sommets rarement atteints. Voilà sans doute où pourrait se situer le point de départ de toute réflexion sérieuse sur la montée en puissance des dépendances et des addictions à laquelle nous assistons depuis trente ans : qu’est-ce qui, dans la dite réalité, pousse tant de gens à tenter de la fuir où, lorsqu’il s’agit des jeunes, d’y entrer le plus tard possible ou mieux encore de ne pas y entrer du tout ? Il faudra peut-être trouver d’autres réponses que celle, prête à l’emploi : le capitalisme, bien sûr !

Au-delà du principe de plaisir

En dépliant cette perspective anthropologique, nous avons jusqu’ici peu ou prou raisonné à l’intérieur de l’opposition freudienne principe de plaisir/principe de réalité. Et il est vrai que spontanément c’est le cadre où nous situons ces comportements, dans une économie psychique des plaisirs et des déplaisirs, comme si le principe de plaisir relevait tout entier d’une dimension pulsionnelle, venant de l’intérieur, qui se heurte un jour ou l’autre au mur extérieur que constituerait le principe de réalité. Dans cette perspective, le toxicomane quel qu’il soit serait celui qui ne parvient plus à contrôler cette quête du plaisir intense que lui procurent nos fameux « paradis artificiels » (je trouve cette expression tellement appropriée qu’elle pourrait à mon sens être élevée au rang d’un concept).

Pourtant, un certain nombre de faits résistent à ce schéma somme toute assez simple. A commencer par le fait que le plaisir humain consiste aussi, pour une part importante, dans le fait de ne pas consommer ces plaisirs. L’homme est cet animal étrange qui trouve du plaisir à ne pas en prendre. Ici encore, les données anthropologiques sont massives. Toutes les cultures humaines, quels que soient les motifs qu’elles invoquent, font une place importante à l’ascèse et à l’abstinence. Ici aussi, la clé est sans doute à chercher du côté de la structure même du désir humain qui comporte toujours une exigence de distance ou d’extériorité vis-à-vis de lui-même. Désirer pour un humain, c’est conserver une certaine maîtrise sur son désir (une maîtrise qui peut d’ailleurs donner lieu à des pathologies, elles aussi de type addictif, comme l’anorexie qui est une sorte d’addiction à la maîtrise de l’appétit).

Ce qui se donne à voir ici, c’est une sorte de réflexivité en acte du désir qui se perd lui-même lorsqu’il se laisse emporter par son propre mouvement. C’est peut-être à partir de cette observation que l’on pourrait distinguer l’autonomie individuelle, qui est possession de soi, et la liberté individuelle, toujours menacée de dépossession où se loge une part importante de l’esclavage chez les modernes (comparé à celui des anciens pourrait-on faire dire à un nouveau Benjamin Constant). Ces questions, il faut le reconnaître, ont récemment connu de grandes avancées théoriques, notamment grâce à la théorie de la médiation et aux clarifications décisives apportées par Jean-Claude Quentel (6) là où l’oeuvre de Freud et de ses disciples restait à mon sens ambiguë. Ce qui se précise ici, c’est que le désir humain n’est jamais étranger à la norme : la dimension normative du désir est intrinsèque et non extrinsèque comme on le pensait encore récemment. Pour le dire dans les termes freudiens, « l’angoisse est la cause du refoulement et non l’inverse » (7).

Conséquence : la souffrance qui est immanquablement associée à l’addiction comporte deux sources et non une seule. Le (cyber ou autre) dépendant souffre certes de ce que son activité empiète de plus en plus sur ses autres activités et l’empêche d’exercer ses responsabilités familiales, professionnelles, civiques ou autres, ce que mentionnent tous les manuels de psychiatrie, qu’ils soient populaires ou savants. Mais il souffre aussi de ce sentiment paradoxal d’avoir perdu son désir et son plaisir en s’y abandonnant totalement.

Resterait pour boucler cette brève réflexion à examiner une question que je me contente d’évoquer sans l’approfondir. Elle a directement à voir avec un des textes de Freud qui m’a toujours personnellement intrigué, ne fût-ce que par son très énigmatique titre « Au-delà du principe de plaisir ». Il s’agit d’un essai publié en 1920 où Freud, à la surprise de ses disciples, revient sur un certain nombre de ses conceptions antérieures et introduit notamment la fameuse pulsion de mort. On pourrait se contenter de le lire à la lumière de ce que j’ai exposé au point précédent, à savoir la place du renoncement et de l’interdit dans l’économie du désir humain. Mais une lecture attentive laisse entrevoir une autre dimension, celle précisément que la « pulsion de mort » désigne de manière à mon sens peu appropriée, une sorte d’hésitation/oscillation entre tout et rien, entre être et ne pas être, aisément déchiffrable dans les pathologies addictives. A suivre donc…

Jean-Marie Lacrosse

(1) Par exemple dans La Libre.be du 05/03/2009 sous le titre « Une maladie du désir humain » et dans Espace Citoyen du 12/12/2008 « Il y a une perte du principe de réalité » dans le dossier « La violence dans les jeux vidéos ».

(2) Les DSM sont des manuels de diagnostic et de statistique des troubles mentaux, mis au point par l’Association Américaine de Psychiatrie. Le DSM V a été publié aux Etats-Unis le 18 mai 2013. Il n’a pas encore été traduit en français.

(3) Monique Dagnaud, La teuf. Essai sur le désordre des générations, Seuil, janvier 2008. Voir également son article La teuf comme utopie provisoire dans le dossier « Nouvelles jeunesses » publié par la revue Le Débat, 145, mai-août 2007.Voir également le compte-rendu qu’en a fait Hélène Lacrosse, La teuf ou la fête comme mode de vie. On peut également écouter la conférence que Monique Dagnaud a donnée au CePPecs en mars 2009 en cliquant ici. Cette conférence ne sera hélas pas publiée dans la collection « Temps d’arrêt » de Yapaka. On ne peut que le regretter tant elle jette un utile coup de projecteur sur les pratiques de ces « nouvelles jeunesses » que parents, psychologues et travailleurs sociaux s’évertuent à laisser dans l’ombre.

(4) Michael Harner, Les Jivaros, Petite bibliothèque Payot, 2006 (édition originale 1972)

(5) Sur la question de l’institution et de son éclipse dans le monde contemporain voir Les tragédies de la rage adolescente.

(6) De Jean-Claude Quentel, voir son oeuvre maîtresse, L’enfant (De Boeck, 1993), spécialement les pages 141 à 154, « Le rapport de l’enfant à l’éthique ». Voir également L’enfant n’est pas une personne, collection « Temps d’arrêt » (Yapaka) ou l’enregistrement audio de sa conférence du même nom sur le site du CePPecs en cliquant ici.

(7) Jean-Claude Quentel, L’enfant, p.144

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