La personnalité contemporaine et l’état-limite : de curieuses similitudes

Article écrit par Jean-Marie Lacrosse et publié dans Pro J, n°5, mars-mai 2013.

Certains lecteurs du numéro précédent de la revue peuvent avoir trouvé exagéré le rapprochement opéré par l’auteur entre la figure de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, mis en scène par David Fincher dans Social Network, et une catégorie psy très en vogue aujourd’hui, les personnalités dites « borderlines » (1). Après tout, nous ne savons pas si Mark Zuckerberg a jamais entamé une psychothérapie ou s’est vu prescrire des médicaments psychotropes et le film ne nous en dit rien. Par contre, il y a de bonnes raisons de s’interroger sur les curieuses similitudes qu’à doses diverses chacun peut observer en lui et autour de lui entre certains traits de la personnalité contemporaine et les symptômes majeurs que les psys repèrent chez leurs patients « borderlines » : difficultés à contrôler ses émotions, impulsivité, sentiments de vide, peur de l’abandon, instabilité des relations. C’est cette interrogation de fond que je voudrais mener dans ce texte (2).

Peu de gens, parmi les professionnels œuvrant dans le secteur, contesteront que le champ psychopathologique soit engagé aujourd’hui dans un processus de complète redéfinition. L’apparition puis le développement des troubles de la personnalité borderline en est certainement un des traits les plus marquants. Citons ici le résumé qu’en proposent Bernard Granger et Daria Karaklic dans le petit livre qu’ils lui ont consacré : « L’histoire du trouble de la personnalité borderline est complexe, chaotique. Cependant, de grandes lignes se dessinent. Il s’agit initialement d’une pathologie ou de symptômes n’entrant pas dans les cadres classiques de la typologie freudienne répartissant les structures de la personnalité entre les structures psychotique, névrotique et perverse. A partir des travaux psychanalytiques, on a caractérisé un type de personnalité où était présents des symptômes certes psychotiques, mais de très courte durée et secondaires par rapport à d’autres tels que l’impulsivité, l’instabilité, la tendance à la dépression, la crainte de l’abandon. Ce sont ces critères qui ont permis de définir le trouble de la personnalité borderline dans le DSM-III paru en 1980. Les très nombreux travaux menés depuis à partir de ces critères ont montré la validité de ce concept, tout en permettant d’en définir des sous-types et des facteurs de bon pronostic » (3).

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L’école catholique réinvente ses programmes

Article écrit par Pierre Bouillon publié dans Le Soir du jeudi 28 février 2013.

Le réseau libre catholique réécrit tous ses programmes de maternelle et de primaire. Ceux de mathématiques s’appliqueront dès septembre.

Nos programmes scolaires ne sont pas des modèles de clarté. Les enseignants n’identifient pas toujours ce qu’ils doivent enseigner, et quand. Et l’illisibilité des textes officiels ne fait pas gémir que les profs. Elle a aussi été dénoncée par l’inspection.

Marie-Dominique Simonet n’est pas restée les bras ballants. La ministre CDH de l’Education a entrepris de réécrire les « référentiels » – les objectifs généraux que la Communauté française assigne à l’ensemble des écoles.

Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec) a réagi, lui aussi. Son aile « enseignement fondamental » s’est ainsi lancée dans la réécriture de ses programmes scolaires.

Un chantier énorme. Et… total. Le programme en maths, qui sort d’imprimerie, est en cours de distribution et il s’appliquera dans les écoles à la rentrée de septembre 2013. A la rentrée 2014, ce sera au tour du français. Suivront l’éveil, les sciences, la géo et, en finale, la formation artistique et la religion.

Plus lisibles, plus compréhensibles, les nouveaux programmes inversent la tendance en étant plus précis sur les contenus (que faut-il apprendre aux enfants et quand) et moins directifs sur la méthode.

« En même temps que les programmes, nous allons développer des outils, comme notre site la Salle des profs qui consigne des activités qui mettent en œuvre les programmes. L’enseignant n’est pas tout seul ; on ne fuit pas nos responsabilités », explique Godefroid Cartuyvels, le secrétaire général de la Fédération de l’enseignement fondamental catholique (Fédefoc).

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Le niveau scolaire baisse, cette fois-ci c’est vrai !

Article écrit par Antoine Prost, historien de l’éducation, publié le 20 février 2013 sur lemonde.fr

« A force de crier au loup, c’est en vain qu’on appelle au secours s’il surgit… On a tellement dénoncé la baisse du niveau, alors qu’il montait, comme le montraient les évaluations faites à la veille du service militaire, lors des « trois jours », qu’aujourd’hui l’opinion ne s’alarme guère, alors qu’il baisse pour de bon. Il faut pourtant sonner le tocsin. Tous les indicateurs sont au rouge. Dans les fameuses enquêtes PISA, la France est passée entre 2000 et 2009, pour la compréhension de l’écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33. La proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas cette compétence a augmenté d’un tiers, passant de 15,2 %, à 19,7 %. En mathématiques, nous reculons également et nous sommes dans la moyenne maintenant, alors que nous faisions partie du peloton de tête. »

« La baisse se constate quelles que soient les compétences. A la même dictée, 46 % des élèves faisaient plus de 15 fautes en 2007, contre 21 % en 1997. L’évolution en calcul est également négative. Le recul n’épargne que les enfants des cadres supérieurs et des professions intellectuelles, dont les enseignants. »

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La fraude est un rouage essentiel de l’économie

Entretien avec le magistrat Jean de Maillard publié par l’Expansion le 1er février 2010.
Propos recueillis par Bernard Poulet.

Pour le magistrat Jean de Maillard, la globalisation et l’effacement de l’Etat ont favorisé l’émergence d’un pillage sans précédent au coeur du système financier, organisé dans l’opacité et en toute impunité. Interview.

L’éclatement des bulles, technologiques ou financières, révèle nombre de scandales et de malversations, telles les affaires Enron ou Madoff. La financiarisation de l’économie s’accompagnerait-elle d’une nouvelle criminalité ? Pis, nous dit le magistrat Jean de Maillard, auteur de L’Arnaque (Gallimard), cette criminalité est partie prenante du système économique, dont elle est devenue « la variable d’ajustement et de régulation ». De quoi s’inquiéter !

Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’une nouvelle criminalité, différente des mafias, a pénétré les circuits économiques ?

J’hésite à parler de délinquance ou de criminalité, car cela obscurcit le débat. Je préfère parler de fraude, de pillage ou de prédation. La globalisation économique et financière a fait évoluer les frontières de la criminalité : à l’ancienne, de forte intensité et de haute fréquence, s’est superposée une fraude de plus faible intensité et de basse fréquence qui est facilement ignorée dans les analyses officielles. Les techniques frauduleuses sont devenues des variables d’ajustement de l’économie globalisée, et même des modes de gestion de celle-ci, et pas seulement des malversations marginales. Il ne s’agit pas du gangstérisme en col blanc des mafias ou des escrocs, mais d’un pillage de l’économie à travers le système financier. Cette prédation est, de la part des acteurs, un acte rationnel, même si elle aboutit à l’irrationalité quand le système s’effondre, comme dans la crise des subprimes.

Ces techniques sont donc frauduleuses sans être toujours délictueuses ?

Oui, parce que les réglementations étatiques se sont restreintes au profit de l’autorégulation des marchés, censés faire leur propre loi. Les Etats ont accepté que cette dernière se substitue à la leur, et ils ont perdu le contrôle des régulations. Les acteurs de ces marchés peuvent violer – en général impunément – ce qu’il reste de lois étatiques quand elles les gênent. Les Etats sont dépassés par leur puissance et par leur inventivité. Souvent, les acteurs de ces marchés n’ont même plus de comptes à rendre et peuvent faire ce qu’ils veulent allégrement, dans une opacité totale, y compris en violant les principes selon lesquels ils prétendent fonctionner.

En quoi le scandale des savings and loans, aux Etats-Unis, a-t-il « introduit la criminalité comme mode de gestion » ?

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Merci pour les banquiers !

Article écrit par Jean-Luc Gréau publié dans Causeur.

« La loi française sur la séparation des activités bancaires ne changera rien à la politique qui a permis aux banques de spéculer, pour leur propre compte, sur les monnaies, les matières premières, les actions, les titres d’emprunt et sur les produits financiers qui en sont dérivés. Et le projet d’union bancaire européenne, si elle voit le jour, conduira à assurer les banques contre la faillite par une garantie explicite des contribuables, invraisemblable fuite en avant quand on sait que les États sont exsangues et leurs contribuables doublement asphyxiés par les charges et par la récession. »

« Pourquoi les banques refusent-elles de se replier sur leurs activités traditionnelles ? (…) C’est (…) une question de gros sous. Le trading pour compte propre a fini par représenter une part substantielle – le tiers, la moitié, voire plus – des profits déclarés et versés aux actionnaires. »

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Boy-Men, Pal Dads, and the New Culture of Immaturity

Article écrit par Lisa Jacobson (UC Santa Barbara) publié sur H-Childhood, H-Net Reviews en septembre 2009.

Today’s celebrity culture overflows with examples of “boy-men”–men who live in a kind of perpetual adolescence, obsessed with retaining their youthful spirit and looks and never having outgrown juvenile pleasures and hobbies. Michael Jackson and Hugh Hefner, our contemporary culture’s perhaps most iconic boy-men, took the role to extremes. Their elaborate estates Neverland Ranch and the Playboy Mansion stand as monuments to their refusal to grow up. Even our two most recent presidents failed miserably as public models of maturity–George Bush, with his smirking grin and penchant for cowboy diplomacy, and Bill Clinton, with his numerous sexual indiscretions. In today’s society, however, men hardly need a fortune or the power of high office to extend adolescence long into adulthood. More than half of men between eighteen and twenty-four still live in their parents’ home, male college students pass up dates to play Grand Theft Auto, and suburban dads spend hours a week trying to master the same sort of video games as their sons. While earlier generations of men had achieved the traditional benchmarks of masculine maturity–marriage, childbearing, stable employment, and a completed education–by their twenties, many fewer do so today. And this is precisely what troubles Gary Cross: the boy-man and the “culture of immaturity,” he argues, have “become the norm rather than the exception” (p. 2).

Men to Boys is a historical and partially autobiographical study of the causes and consequences of modern immaturity. Writing in part to better understand his father’s generation and his son’s, Cross divides his book into three parts, analyzing first the « greatest generation » that came of age in the Depression and Second World War, then his own generation of baby boomers, and finally his son’s cohort (Generation X) that grew up in the 1980s and 1990s. In each generation Cross focuses on white, middle-class men, analyzing a major segment of each generation but not potentially important divergences within generations. His method is cultural rather than sociological, focusing less on statistics and demographic data than on the ways in which popular culture has both shaped and reflected the changing aspirations and anxieties of American men.

Skeptics who question Cross’s premise that the culture of immaturity now defines the normative culture won’t find much in the way of quantitative data to persuade them. Cross’s astute analysis of popular culture, however, presents compelling evidence that such a culture has taken root. Cross mines an impressive array of popular cultural forms–film, television, advertising, games and toys, childrearing advice literature–to demonstrate the erosion of earlier standards of male maturity and the rise of a new “culture of immaturity” that promotes thrill-seeking and legitimizes instant gratification. He both echoes and extends Christopher Lasch’s searing critique of American culture in The Culture of Narcissism (1979)finding the roots of social disconnection and weakening individual constraints in a consumer culture that feeds on longings for perpetual youth and disdain for older models of maturity.

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Le Débat, n°173, janvier-février 2013

SOMMAIRE

États-Unis : Après la présidentielle

L’importance des orientations du gouvernement américain pour la marche du monde n’a pas besoin d’être longuement plaidée. Comme nous l’avons fait régulièrement, nous consacrons un dossier conséquent à l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu. Qu’est-ce que les conditions de la réélection de Barack Obama nous apprennent sur les évolutions de la société américaine et des rapports de force politiques qui l’organisent ?

Geoffrey Hodgson souligne la nouveauté que représentent les perplexités grandissantes à l’égard de l’efficacité d’un système institutionnel présenté jusqu’il y a peu comme un modèle indépassable. Denis Lacorne revient sur la signification de l’affrontement entre les deux candidats. Mettant en perspective les scrutins de 2008 et de 2012, Vincent Michelot fait ressortir le poids continué de la crise sur les choix des électeurs. Roger Persichino analyse la montée des divisions que le vote a mise en évidence.

Nous joignons au dossier une étude de Sylvie Laurent sur une tradition minoritaire, mais vivante, de la culture américaine, celle de « l’intellectuel de gauche ». Si l’âge d’or de la contestation est derrière nous, la critique sociale ne s’est pas évanouie pour autant.

– Godfrey Hodgson, Un système politique en question
– Denis Lacorne, Obama contre Romney. Deux versions du rêve américain
– Vincent Michelot, Entre paradoxes et continuité : une élection de crise
– Roger Persichino, Le miroir d’une division

– Sylvie Laurent, Comment être un intellectuel de gauche aux États-Unis?

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Banquiers, rendez des comptes !

Article écrit par Jean-Luc Gréau publié dans Causeur.

« Si les banquiers sont riches, ce n’est pas avec leur argent qu’ils prennent le risque de leurs entreprises particulières, n’en déplaise à certains lecteurs de Causeur, encore attardés dans leurs rêves d’enfance, mais avec l’argent des autres ou l’argent qui se crée à leurs guichets ou à ceux de la banque centrale. Le procès des banques et des banquiers qui s’impose ne peut être celui d’une oligarchie qui aurait accaparé la richesse du monde comme les vulgaires prédateurs de l’Histoire. C’est celui d’une corporation d’incapables qui s’est présentée à la face du monde comme le démiurge d’une nouvelle économie. Ce procès peut se faire à partir d’illustrations éclairantes que nous connaissons tous, mais que nous connaissons mal, parce que la représentation médiatique qui en a été faite a été souvent biaisée : la bulle du crédit hypothécaire américain, le surendettement de l’Etat grec, la folie bancaire irlandaise, l’aventure espagnole, sans doute maintenant la bulle du marché de la dette en Europe. A chaque fois, ceux qu’on appelle les banquiers ont fait étalage d’un mélange explosif d’imprudence et d’incompétence et, pour tout dire, d’irresponsabilité. »

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La connaissance des politiques est nulle en matière énergétique

« Les politiques sont tous à peu près ignorants sur le sujet, ils n’ont pas le temps de lire, et tout ce qu’ils en sauront, est ce qu’il en ont lu dans le journal et ce qu’en dit le sondage de la veille… »

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La temporalité dans les conduites à risque : l’exemple du film « Fight club »

Article écrit par Jocelyn Lachance et Sébastien Dupont publié dans la revue Adolescence 2007/3 (n°61) puis sur cairn.info.

Quelques années après sa sortie en 1999, Fight Club, film américain de David Fincher (1999) est considéré comme une œuvre culte, notamment auprès du public adolescent. Ce film décrit le parcours d’un homme d’une trentaine d’années qui bouleverse sa vie monotone de cadre et de consommateur lorsqu’il fait la connaissance de Tyler Durden, jeune homme marginal, enclin à la violence, avec qui il créera un club de combat underground, le Fight Club. Cette organisation secrète va ensuite se développer, prendre une dimension politique et engager des actions d’importance contre la société de consommation. Le Fight Club changera alors son nom pour s’appeler « Projet Chaos ». Il est selon nous possible de lire ce film comme une synthèse, une allégorie, de l’adolescence comme passage, dans la société contemporaine (Dupont, Lachance, Lesourd, 2007).

Fight Club est également allégorique d’une autre dimension des comportements humains, celle des conduites à risque. Nous y lisons en effet, presque à livre ouvert, de nombreux aspects de ces conduites telles qu’elles sont analysées dans la littérature anthropologique, sociologique et psychologique (Dupont, Lachance, 2007). Le personnage principal, qui est présenté au début du film comme un homme déprimé, en quête de sens, et que nous interprétons comme un adolescent tourmenté par la perte des repères de l’enfance, va ainsi bouleverser son existence en se livrant à plusieurs types de conduites à risque : les combats du Fight Club, la vitesse en voiture, les activités délictueuses (vols, menaces à main armée, vandalisme), une tentative de suicide, etc.

Le personnage principal, qui est aussi le narrateur du film, est entraîné dans ces expériences de l’extrême par Tyler Durden, dont il vient de faire la rencontre. À la fin du film, nous découvrons que le narrateur et Tyler Durden sont en réalité une seule et même personne. Tyler Durden était issu de l’imagination du narrateur, qui hallucinait son existence. Ce vécu schizophrénique du personnage illustre précisément les mécanismes de clivage du moi ou de dissociation de la personnalité que décrivent les auteurs à propos des conduites à risque, des scarifications, des tentatives de suicide, etc.

De façon plus spécifique, le film met en évidence l’importance particulière de la temporalité dans les conduites à risque. En effet, le narrateur qui, au début du scénario, semble avoir perdu toute inscription temporelle, tant au plan individuel que social, va se construire de nouveaux repères en recourant à plusieurs types de ces conduites.

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