Hollande a peur des chiens qui aboient

Entretien avec Marcel Gauchet publié dans Le Point n°2118 du 18 avril 2013.
Propos recueillis par Elisabeth Levy.

Extrait.
Le pouvoir n’est plus dans l’action, il est dans la réaction, et il s’y noie. Face aux événements, on n’élabore pas un plan véritable de transformation des moeurs politiques, on ressort les vieilles promesses et on racle les fonds de tiroir de Bercy pour donner du grain à moudre aux journalistes. L’hystérie médiatique est devenue structurelle, à travers le dispositif bien connu du circuit réseaux sociaux-information en continu-concurrence hyperbolique. Il faut être le premier, quitte à dire n’importe quoi. Puisque Laurent Fabius est riche, il devra démentir qu’il a un compte en Suisse. L’hystérie politique prend ensuite le relais. L’opposition, qui ne manque pourtant pas de casseroles sur ce terrain, pousse des hurlements. La majorité s’inquiète et, en vingt-quatre heures, pond un plan qui n’a aucun rapport avec les questions qui tracassent vraiment les populations.

Cela rappelle quelqu’un, non ? Cette course folle derrière l’événement était l’un des péchés du sarkozysme…

Oui, on a l’impression de retrouver les mêmes martingales des mêmes communicants. Il est temps de s’affranchir de ce jeu d’apparences. François Hollande en a-t-il la capacité ? Je suis sceptique. Pour gouverner, il faut accepter de prendre des risques, de parler fort, de tenir un discours qui va faire hurler et se dire : les chiens aboient, la caravane passe. Et lui, il a peur des chiens !

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Fracture morale : 65 millions d’exceptions à la règle

Entretien avec Marcel Gauchet publié dans Causeur n°1 avril 2013.
Propos recueillis par Elisabeth Levy et Gil Mihaely.

Élisabeth Lévy : La société française est selon vous, divisée par une véritable fracture morale. Comment la décririez-vous ?

Marcel Gauchet : Mon idée est que les conditions du respect des règles de la vie commune ont été profondément altérées par une situation où les uns, au sommet, ont les moyens de contourner les règles, tandis que les autres, à la base, continuent d’être obligés de s’y soumettre, ou, en tout cas, n’ont pas les mêmes moyens de s’y soustraire. Vous me direz qu’il en a toujours été plus ou moins ainsi. C’est vrai sans une certaine mesure. Il n’empêche que depuis, disons, la Révolution française, toute la bataille politique a tourné autour de la création d’espaces d’égale soumission à une même loi, et que le progrès politique est allé globalement dans ce sens. Or la mondialisation a inversé cette tendance. Elle a ouvert un Far-West planétaire. Elle fonctionne comme le moyen pour les acteurs les plus puissants de s’extraire des règles qui s’appliquent dans les espaces nationaux. Cela a peu à peu pénétré la conscience collective au point de modifier la donne de la vie sociale, à tous les niveaux. Cet impact se traduit par un dilemme qui travaille confusément au quotidien l’esprit de tout un chacun : faites-vous partie des couillons ou des cocus qui continuent bêtement de respecter les règles, ou êtes-vous du côté des malins qui ont compris le nouveau système et qui savent que les règles ne sont là que pour être tournées ? Prenez ce point vif de l’exaspération banale dans la ville d’aujourd’hui : la fraude dans les transports en commun. Si cela énerve autant les gens qui persistent dans leur grande majorité à refuser de tricher, c’est qu’ils ont l’impression que leur choix les range dans le camp des cons et des perdants.

E.L. : Mais vous le dites vous-même,  l’illégalité a toujours existé : qu’il y a-t-il de nouveau ?

Ce qui est nouveau, c’est son caractère structurel qui tient à la nature de la globalisation intervenue ces trois dernières décennies. Sa philosophie repose sur la création délibérée d’espaces permettant de s’affranchir des règles nationales. À la fin des années 70, il existait des espaces nationaux très régulés, avec tout ce que cela impliquait de pesanteurs et d’aberrations.  Souvenez-vous de l’économie administrée à la française. D’où le succès des orientations néolibérales qui ont percé à ce moment-là. L’idée s’est imposée chez les gouvernants qu’il fallait réformer ces sociétés trop rigides et compliquées, au besoin malgré elles, en les ouvrant sur l’extérieur, en les mettant en concurrence et en créant des mécanismes de contournement. La rencontre entre la contre-culture de la transgression qui s’était développée depuis les années 1960 et cette mondialisation fondée sur la dérégulation a ensuite fait exploser les cadres moraux qui tenaient les sociétés.

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Devenir adulte? Non, sans façon…

Article écrit par Monique Dagnaud et publié sur slate.fr le 2 mai 2013.

Cette perspective n’enchante guère les 15-18 ans: seulement 29% attendent intensément cette étape de la vie, selon un récent sondage. Pourrait-il en être autrement, quand cette image dépréciée est d’abord véhiculée par les adultes eux-mêmes?

Devenir adulte? Non merci. Cette perspective n’enchante guère les 15-18 ans: seulement 29% attendent intensément cette étape de la vie, perçue en revanche comme «un passage obligé» (54%) ou «une source d’angoisse» (22%) pour les autres, selon une étude Ipsos pour le récent Forum Adolescences.

Ce statut est associé, pour les adolescents, au fait de pouvoir vivre de ses revenus, avoir un métier (44%) ou être indépendant financièrement (19%). La maturité n’est pas revêtue des perspectives de l’épanouissement ou de la maîtrise de soi: elle est vécue sous les auspices d’une certaine dépossession. On passe de l’âge de tous les possibles à celui des choix contraints, et finalement à une perte d’insouciance: endosser des responsabilités, s’engager dans une voie professionnelle, et au fond, seule perspective réjouissante, avoir un enfant —un vœu largement encensé. L’âge adulte ne fait pas rêver.

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Les mauvais comptes font les faux amis

Article de Jean-Luc Gréau publié dans Causeur n°1, avril 2013.

Le discours médiatique et politique qui accompagne le drame de l’euro et celui, concomitant, de l’Europe, s’efforce de réduire son enjeu à des trivialités. Le séisme qui a commencé à ravager le Vieux Continent viendrait de ce que certains pays ont commis des « erreurs ». Erreurs pardonnables, cela va de soi, mais surtout réparables. Ceux qui se sont risqués à nous lire savent ce que nous en pensons. Le vice de conception qui affecte l’euro depuis son origine a provoqué une crise irrémédiable dont la gravité s’accentue au fil des mois sous l’effet de politiques inopérantes d’austérité publique et salariale.

Mais il ne faut pas s’en tenir à la leçon intellectuelle de la malfaçon de l’euro. Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, la crise opère son action de dévoilement à Chypre. La Chypre grecque, membre à part entière de l’Europe et de l’euro. Ce pays provoque au sein des instances européennes un conflit disproportionné au regard de sa population de 850 000 habitants et de son PIB affiché de 16 milliards d’euros égal à 0, 2 % du PIB total de la zone. Mais il fournit surtout la quatrième démonstration de ces falsifications auxquelles se sont livrées différents pays, des fautes donc, et non pas des erreurs comme se plaisent à le dire les commentateurs. Récapitulons ces falsifications.

Le trucage des comptes publics grecs est la seule avouée à ce jour. Dans les faits, il y en a eu deux, de trucages. Le premier oublié, qui a permis à la Grèce de remplir les critères d’appartenance à l’euro à la fin de la décennie quatre-vingt-dix. C’est à ce trucage que Mario Draghi, alors président de Goldman Sachs Europe, a prêté son concours. Le deuxième a été révélé par Andréas Papandréou après son entrée en fonctions à l’automne 2009. Ses prédécesseurs ne révélaient qu’un petit tiers du déficit budgétaire accusé par les finances publiques.

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C’est l’école garderie qui est en marche

Entretien avec Jean Robelin publié sur ragemag.fr le 26 avril 2013.

Jean Robelin, normalien, professeur émérite de philosophie à l’Université de Nice Sophia Antipolis, a récemment publié une tribune dans L’Humanité intitulée « La gauche et l’éducation » dans laquelle il revient sur la conception de l’École républicaine du Parti socialiste qu’il dénonce avec véhémence. Nous l’avons donc rencontré pour parler de cette grande institution.

Vous dénonciez dans L’Humanité la politique éducative de la gauche : « Non seulement la gauche n’a pas enrayé la perte de qualité de l’enseignement public, ni la dégradation de certaines des conditions de travail des enseignants, mais à bien des égards elle les a accélérées. » C’est un jugement très dur contre une gauche pourtant réputée proche des enseignants. Qu’a-t-elle accéléré ?

La gauche est coupable d’avoir promu et soutenu un modèle d’enseignant reposant sur l’ignorance : héritage des PEGC (Professeurs d’enseignement général de collège, NDLR) des années 60 et donc du SNI (Syndicat national de instituteurs, NDLR) de l’époque. J’ai passé ma vie à étudier une discipline, la philosophie, je suis loin d’en faire le tour, et on veut me faire croire que des gens seraient compétents pour en enseigner deux ou trois ! Aujourd’hui encore les Meirieu de service nous assènent qu’il faut des enseignants bi- ou trivalents, parce que les chers petits à 12 ans seraient perdus par le nombre d’intervenants. Voyons les faits. Dans l’école maternelle de ma petite fille, à Montreuil-sous-Bois (93), il y a des classes à deux maîtresses, les enfants vont dans d’autres classes que la leur, dans une organisation en modules, et il y a les animateurs du soir. Tout cela se passe bien, l’école est excellente. Donc le modèle simili famille, c’est de la poudre aux yeux, de la poudre officielle.

La gauche est coupable d’avoir retiré toute autorité aux enseignants, en les coinçant entre une administration dont on exige qu’elle ne punisse pas, et des associations consuméristes de parents d’élèves qui s’arrogent le pouvoir de juger les enseignants, de leur apprendre leur métier. Moins on entend parler d’un établissement, mieux son chef est considéré, c’est l’inverse de la prime au rendement : la prime au silence. Donc pas de vagues. La gauche est coupable d’avoir dessaisi les enseignants de leur métier en leur imposant les recettes de la cuisine pédago officielle. La gauche est coupable d’avoir, comme la droite, dévalorisé financièrement le métier d’enseignant, mais dans notre société, la dévalorisation financière est aussi symbolique. Alors bien sûr, le discours officiel se défausse sur la droite, qui a fait pire, et surtout plus anti-démocratique en s’engouffrant dans les brèches ouvertes par la gauche. Mais le résultat est là : aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge. Le très officiel Antoine Prost est obligé d’admettre que le niveau baisse. La France régresse dans tous les tests internationaux… sauf dans ceux auxquels elle ne participe pas, comme certains tests scientifiques… Et c’est le moment choisi par Peillon et par tous les éducateurs officiels pour nous dire qu’il faut  faire confiance aux gens qui nous ont conduits à ce désastre.

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La question de la transmission

Photographe : BG

Conférence de Marcel Gauchet organisée le 19 février 2011 à Bruxelles par le CePPecs dans le cadre du cycle de conférences « Qu’est-ce qu’apprendre ?« , avec la collaboration du SeGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique), de l’Enseignement de la Communauté française et de l’Institut Supérieur de formation sociale et de la communication.

Les réflexions que je vais vous soumettre procèdent d’un travail en cours, mené avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi dans le prolongement de nos explorations précédentes. Nous avons décidé de nous attaquer cette fois au volet épistémique du problème de l’éducation aujourd’hui.

Nous sommes partis d’un constat. Le constat que toutes nos notions courantes sur ce que veulent dire aussi bien « apprendre » que « connaître », « transmettre », « comprendre », ou « savoir » se sont extraordinairement brouillées dans la dernière période. Les gens qui suivent un peu la discussion pédagogique le savent ; on se jette ces mots à la figure sans très bien mesurer ce qu’ils recouvrent.

Nous nous sommes donnés pour premier objectif d’essayer d’y voir clair dans ce maquis.

Je commencerai par un diagnostic sommaire sur les raisons d’être de ce brouillage. Ce ne sera pas le plus important de mon propos. Je ne le développerai pas pour lui-même. Il n’a d’autre ambition ici que d’introduire une perspective. Aussi me contenterai-je de quelques propositions abruptes pour qualifier la situation où nous nous trouvons.

Nous sommes sous le coup d’un basculement qui s’est produit de manière assez clairement situable dans les années 1970, où un changement social profond s’est accompagné d’une modification considérable des horizons pédagogiques. Il faut penser à la fois le changement social et le changement pédagogique. Les idées pédagogiques viennent de loin, en l’occurrence, mais ce n’est que dans la période récente, depuis les années 1970, qu’elles ont acquis une espèce d’évidence et le pouvoir qu’elles ont aujourd’hui. Nous avons vu se produire à ce moment-là, l’achèvement d’un processus qui vient de très loin : la détraditionnalisation. Nous sommes sortis définitivement, dans ces années 1970, des sociétés de tradition, avec le modèle très fort qu’elles imprimaient aux institutions éducatives. Depuis les débuts de l’époque moderne, dont l’école est une institution caractéristique, nous vivions sur un compromis dans l’ordre scolaire entre le principe de tradition et le principe de raison méthodique qui est celui des savoirs modernes. Ce compromis s’est renégocié à diverses reprises, mais l’institution reposait toujours sur un équilibre entre ces deux principes par ailleurs contradictoires. Et puis, tout d’un coup, ce compromis s’est défait. D’une société de tradition, nous sommes passés à une société de connaissance, comme on le dit communément aujourd’hui, avec tout ce que cela implique comme changement d’orientation pédagogique. Je ne parle pas de méthodes pédagogiques au sens précis du terme, mais d’esprit des institutions éducatives et d’orientation du travail des enseignants. Nous pouvons dire qu’avec cette fin du compromis entre tradition et méthode, nous sommes passés d’un modèle pédagogique qui privilégiait l’acte social de transmission à un modèle pédagogique centré sur l’activité individuelle de l’élève. Un modèle pédagogique dont le cœur est l’encouragement à la construction de ses savoirs par le sujet individuel. De telle sorte même que, à la limite, il n’y a plus que des appropriations individuelles qui soient concevables s’agissant d’apprendre, des appropriations individuelles partant des motivations, des intérêts et des besoins de chacun.

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Séance de questions-réponses : transmettre/apprendre

Séance de questions-réponses à la suite de la conférence de Marcel Gauchet intitulée « La question de la transmission« .

QUESTION : Pourquoi a-t-on laissé tomber des méthodes finalement, semble-t-il, plus fonctionnelles ? De façon très concrète quand je vois la génération de mes grands-parents, ce sont des gens qui ont eu accès à l’école pour la première fois, qui ont appris à lire, écrire et calculer et qui calculaient mentalement mieux que moi et qui écrivaient et qui écrivent toujours mieux que moi qui ai fait l’université. Voilà.

MARCEL GAUCHET : Je n’ai pas la réponse. Ce que je peux répercuter, c’est l’argument en fonction duquel s’est opéré cet abandon. L’argument, c’est qu’il n’est pas vrai que ça marchait. Et qu’en fait, ça marchait effectivement pour une petite proportion, qu’on peut évaluer différemment, de la population scolaire et que ça en laissait un grand nombre en dehors du coup. Et que donc, il fallait trouver d’autres méthodes plus inclusives supposées permettre de toucher une population non seulement plus large, mais idéalement complète. Le programme nouveau qui s’est mis en place dans nos systèmes scolaires, c’est la lutte contre l’échec scolaire. C’est l’objectif prioritaire qui commande les politiques publiques dans le domaine de l’éducation. On ne peut pas dire d’ailleurs que ça ait un succès éblouissant, mais c’est ça l’objectif, et c’est là l’argument. Alors c’est une question qui pourrait en un sens être éclairée par des études empiriques beaucoup plus poussées que celles qu’on a faites jusqu’à présent. Parce quel était le taux d’échec de ces méthodes ? On a assez de documents pour le mesurer assez précisément. Je ne connais pas de choses qui ont été faites dans ce domaine, mais ça serait faisable. Et est-ce que ce taux d’échec était si supérieur à celui des systèmes que nous appliquons aujourd’hui ? Voilà, mais nous en sommes là… pour ne pas en dire beaucoup plus.

QUESTION : Voilà, mon point de vue est plutôt celui d’un pédagogue. Alors dans ce que vous avez dit, j’ai été réconforté par le fait que vous parliez finalement d’une fatalité de la nécessité d’un apprentissage, d’une transmission. Ça sauvera quand même le boulot des enseignants. Mais d’un autre côté, j’ai une question au préalable : Est-ce que, pour qu’un enfant accepte d’être apprenant, il n’y a pas un certain nombre de conditions ? Et il me semble que, si la transmission est nécessaire, encore faut-il que l’individu fasse le chemin de devenir apprenant ? Et j’ai l’impression qu’être un apprenant et accepter d’être un apprenant est déjà un très long chemin. Parce que je me dis que là-derrière, il y a quand même l’acceptation de l’altérité et je pense qu’avec les problèmes de socialisation que nous avons, ce n’est pas toujours évident… et accepter l’altérité c’est aussi faire un chemin d’intériorité… est-ce que ce n’est pas finalement un très long chemin que de devenir apprenant ? Et puis quand on devient apprenant, eh bien, il n’y a plus qu’à apprendre…

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Clinique de l’école

Une enquête récente, largement répercutée par les médias, nous apprend que 40 % des enseignants quittent le métier dans les cinq ans qui suivent leur entrée dans la carrière. Raison principale invoquée : le stress. Mais ce qu’il nous manque, c’est une description clinique un peu précise de ce dont est fait ce fameux « stress » dont la définition courante reste généralement très floue et donc peu « opératoire ». C’est le mérite du texte que nous publions ici de nous en fournir un contenu substantiel, à bonne distance aussi bien de la langue de bois que de la dénonciation, qui sont devenus les deux genres quasi-exclusivement pratiqués dans la sphère publique contemporaine.

Mes observations cliniques se concentrent sur un laps de temps relativement court. J’ai débuté dans l’enseignement secondaire dans un institut technique bruxellois, un peu par hasard, à la fin novembre 2006. Depuis, en un peu plus de 4 ans, j’ai passé mon agrégation et j’ai enseigné dans deux autres établissements, un collège jésuite et un institut d’enseignement général à encadrement différencié (ce que l’on appelait il n’y a pas encore si longtemps à discrimination positive). J’y ai enseigné différentes disciplines (les sciences humaines et sociales, le français, la religion catholique) ainsi que la méthodologie du travail scolaire, à des élèves de la première à la sixième secondaire, dans trois filières : l’enseignement général, l’enseignement technique de transition et l’enseignement technique de qualification.

Ce qui m’a frappé, dès les premiers cours, c’est l’ignorance des élèves de toute une série de choses nécessaires aux apprentissages : avoir son cours en ordre, son matériel, rester calme, se taire, se concentrer sur le cours, y être attentif, écouter l’enseignant, suivre la méthode, le rythme, la structure du cours, les consignes données par l’enseignant, etc. Cette impression s’est confirmée à chaque rentrée scolaire. A chaque fois, j’ai l’impression d’avoir devant moi des adolescents qui viennent d’entrer à l’école et découvrent son mode de fonctionnement. Certains sont fonceurs, impulsifs, interviennent à tout bout de champ, ne tiennent pas en place. D’autres rêvassent et sont déphasés. Ils entrent par exemple dans le cours bien après qu’il ait commencé.

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Mais que fait l’école ?

Dans le cadre du cycle « Rendez-vous de crise », les Editions ainsi que les Cercles de formation de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) ont organisé une table-ronde autour de la question « Mais que fait l’école ? » avec Marcel Gauchet, Philippe Meirieu, François Dubet et Christian Baudelot le lundi 9 janvier 2012 à l’EHESS.

Les enregistrements vidéo de cette table-ronde sont désormais disponibles sur le site de canal U.

Lien vers l’intervention de Marcel Gauchet

Lien vers l’ensemble des enregistrements vidéo de cette table-ronde

Le thème de la crise de l’école s’est durablement installé dans le débat français. Crise de confiance des parents et élèves à l’égard d’un système qui semble ne plus être en mesure de remplir ses fonctions élémentaires d’instruction, d’insertion ou de promotion sociales, crise chez les enseignants face à la double méfiance que manifestent à leur endroit l’État et l’opinion, insurrection des « traditionnalistes » contre le déclin du savoir, indignation des « modernistes » face à une école encore trop ankylosée par des méthodes d’enseignement dépassées… Les affrontements ne manquent pas sans que l’on sache toujours ce qui l’emporte des préjugés, des règlements de compte et de l’intelligence de situations rigoureusement observées. Ce nouveau « rendez-vous de crise » a pour ambition d’apporter un nouvel éclairage sur ces controverses.

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Peut-on encore croire à l’histoire ?

Emission « Répliques » sur France Culture du 6 avril 2013 présentée par Alain Finkielkraut avec François Hartog, historien, directeur d’études à l’EHESS, qui vient de publier « Croire en l’histoire » (Flammarion, 2013), et Michaël Foessel, maître de conférences en philosophie à l’Université de Bourgogne à Dijon, auteur de « Après la fin du monde : critique de la raison apocalyptique » (Seuil, 2012).

Lien vers l’enregistrement audio de l’émission

Le sens de l’histoire, chronique de Brice Couturier du 4 avril 2013

A relire les attaques de Karl Popper, de Raymond Aron, ou de Leo Strauss, contre l’historicisme, on réalise combien, en un demi-siècle, nous avons changé d’époque. Une partie du stock d’idées qu’ils combattaient s’est simplement évanoui. Personne ne croit plus aujourd’hui que la découverte des « rythmes », des « motifs », de « séries », encore moins des « lois » de l’histoire, permettrait d’en permettre de déterminer le cours. « Pourquoi tant d’historiens inclinent-ils à tenir le passé pour fatal et l’avenir pour indéterminé ? », se moquait Aron.

Les philosophies de l’histoire, qui présupposaient l’existence d’un « sens de l’histoire », indépendant de la volonté consciente des acteurs, mais accessible à quelques initiés, détenteurs d’une science infaillible, ont échoué dans de grandes largeurs. Elles s’étaient simplement trompées sur le but final. « Nous disposons de centaines, que dis-je, des milliers de livres, en toutes les langues, qui nous expliquent comment s’effectue la transition inéluctable du capitalisme au socialisme ; mais il n’y en a aucun qui nous explique comment passer du communisme au libéralisme – l’objet même de ce qu’on appelle à présent transitologie », me disait, ironique, un universitaire polonais, il y a une vingtaine d’années.

Nous savons, nous, qu’il n’y a de processus porteur d’une rationalité secrète ; pas non plus d’ultime étape, de « fin de l’histoire », livrant enfin le sens de son développement. Personne ne croit non plus que l’histoire couronne le vainqueur nécessaire, qu’elle constitue un tribunal de la raison, encore moins qu’elle soit la voie d’un salut, d’une réconciliation finale et définitive des hommes, des classes, des nations. Cela rend certains sceptiques et pessimistes. Nous sommes passés, en une génération, de l’utopie au désenchantement, pour emprunter à Claudio Magris. Comme souvent, à une génération emportée par l’illusion lyrique d’un recommencement radical, a succédé une autre qui ne veut plus voir dans l’histoire « qu’une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur. Et qui ne signifie rien. »

François Hartog a bien posé la question dans son dernier livre : croyons-nous encore l’histoire ? La « fermeture du futur », le remplacement de l’histoire par les mémoires conflictuelles, en lutte pour la reconnaissance, semblent nous condamner à un présent définitif, si l’on en croit François Hartog, qui définit comme « présentiste » notre « régime d’historicité ». Refusant au nom d’une prétendue supériorité morale du présent, l’espace d’expérience légué par le passé, ne nous projetant plus non plus sur un horizon d’attente qui a trop déçu, nous aurions tendance à évoluer dans un espace à une seule dimension. Ou plutôt, nous mobilisons, au jour le jour, les bribes de passé, les pressentiments de futur dont nous avons besoin, vite remplacés par d’autres.
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