Les tragédies de la rage adolescente

Article écrit par Jean-Marie Lacrosse et Martin Dekeyser et publié dans Résolument jeunes, n°28, septembre-novembre 2009.

Quelques jours à peine après la tuerie de Virginia Tech, Jonathan Littell, Prix Goncourt et Grand Prix de l’Académie française en 2006 pour son roman « Les Bienveillantes », publiait un « point de vue » dans le quotidien « Le Monde » du 22 avril 2007 sous le titre « Cho Seung-hui, ou l’écriture du cauchemar ». Il y proposait de reconnaître dans deux pièces de théâtre du tueur, disponibles sur Internet grâce à l’obligeance d’un de ses anciens condisciples, une forme de littérature. « A leur lecture, écrit Littell, nul ne pourra dire que Cho Seung-hui avait du talent ; pourtant, ces brèves pièces, maladroites et juvéniles, bien mieux que de nombreuses œuvres publiées, nous disent crûment la vérité d’une rage sans fond ; et si nous voulons bien faire nôtre la définition de la littérature que nous propose Georges Bataille, celle de textes auxquels ‘sensiblement leur auteur a été contraint’, alors, d’une certaine manière, nous devons reconnaître qu’il y a ici littérature, une forme de littérature : quelque chose qui se dit » (1).

Reste que, si nous pensons comme Jonathan Littell que Cho Seung-hui, avec ses moyens malhabiles, « disait beaucoup de choses en ces quelques pages » et que « avant d’acheter des armes, Cho Seung-hui a tenté d’écrire, de mettre en scène, devant ses pairs, des éléments de son désarroi » (2), c’est l’interprétation même de ce désarroi, tel que Littell entreprend de commencer à le définir dans ce texte, qui ne nous paraît guère convaincante. Elle nous entraîne d’emblée vers une psychologie des profondeurs où dominent un certain nombre de thèmes chers à la psychanalyse freudienne (« la terreur abjecte de l’adolescent aux contours flous, terreur qui assaille le corps de toute part, qui revient comme merde, vieillesse, obésité, et hantise de la sodomie, qui est figurée sous la forme de la bouffe qui étouffe (…), de l’interdit opposé au jeu (…), d’une mère passive et violée, de l’angoisse et de l’inceste (…) ». Loin de nous, bien au contraire, l’idée de dénigrer ou de minimiser la contribution qu’une psychologie des profondeurs pourrait apporter au déchiffrement de ces effroyables égarements de l’esprit. Mais, outre que nous ne disposons pas ici du matériau le plus à même de nous guider vers ces zones d’apnée, la clinique individuelle du tueur, une telle plongée risque de nous faire manquer ce qui se donne à voir le plus directement, à la surface même de ces récits. Or il est de bonne méthode, nous semble-t-il, de pratiquer une stricte économie des moyens interprétatifs en s’efforçant de coller au récit et d’en dégager la cohérence intrinsèque.

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Michèle Brian – L’évolution des représentations du nouveau-né : du nourrisson au bébé

« Après avoir été longtemps considéré comme un être passif, le nourrisson s’est vu au cours des deux ou trois dernières décennies de plus en plus décrit comme compétent, c’est-à-dire doué d’emblée ou né avec un certain nombre d’aptitudes interactives faisant de lui un organisme à orientation sociale immédiate. Le terme même de nourrisson a été peu à peu remplacé par celui de bébé pour tenter de rendre compte de ce mouvement des idées. » (extrait de L’être-bébé, Bernard Golse, PUF, 2006)

Michèle Brian est pédopsychiatre. Elle exerce dans un Centre médico-psychologique de la banlieue parisienne.

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Robert Chièze – Les effets de la télévision sur l’enfant

« Dans l’apprentissage d’un langage, les significations s’élaborent à partir de souvenirs, dont la restitution peut exiger des efforts importants, et la mise en œuvre de raisonnements parfois longs et laborieux qu’il faut, en outre, écrire pour en conserver la trace. (…) Au travail sur des symboles, par exemple sur l’écrit, s’associe une exigence spécifique d’attention et de concentration, alors que devant la télévision le spectateur est beaucoup plus dans une situation d’attente émotionnelle que de mobilisation à caractère intellectuel. » (extrait de L’image, le langage et l’école. Sur les effets de la télévision, Le Débat, 151, Gallimard, septembre-octobre 2008, pp. 137-149)

Robert Chièze est ancien professeur de mathématiques et photographe.

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L’école et la télévision

Robert Chièze, ancien professeur de mathématiques et photographe, a récemment exposé au CePPecs son analyse des effets de la télévision sur l’enfant. Nous publions ici la critique de Michel Gheude concernant un texte sur le sujet préalablement publié dans la revue « Le débat » ainsi que la réponse de Robert Chièze. L’enregistrement de sa conférence peut être écouté sur notre site en cliquant ici.

Enquête : Parents et école : un couple difficile
(texte publié dans Le Ligueur n°39 du 26/11/2008)

C’est l’article d’un ancien prof de maths intitulé « L’image, le langage et l’école » (1). Thèse centrale : la télévision développe chez les enfants un rapport au monde qui les rend résistants à la culture scolaire, à l’usage de l’écrit, du langage et de l’argumentation. Elle a un immense pouvoir de « déséducation », qui limite la mémorisation, va à l’encontre des savoirs institués et du travail intellectuel, élargit certes le champ des connaissances mais dans la désinvolture et la facilité. Même si tout, dans cette litanie, n’est pas faux, la perspective est fondamentalement anachronique.

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Monique Dagnaud – La teuf ou la fête comme mode de vie

« Dans les sociétés traditionnelles, les fêtes s’imposent comme des liesses collectives, au sein desquelles certains rôles peuvent être dévolus aux jeunes. Mais, au total, c’est la société dans sa diversité d’âges qui s’engage, qui s’embrase et se plie à des jeux de rôle. La fête contemporaine, dans ses excès et ses débordements, affecte essentiellement les jeunes, adolescents et postadolescents. Elle se déroule au plus loin de la vie de la famille, elle est presque clandestine, elle ne s’affiche pas. Ses rites, ses divagations sont largement cachés au monde adulte, ils se construisent en marge, voire en opposition à celui-ci. » (extrait de La teuf comme utopie provisoire, Le Débat, 145, Gallimard, mai-août 2007, pp. 152-164)

Monique Dagnaud est directrice de recherche au CNRS. Elle a publié récemment « La teuf : essai sur le désordre des générations » (Seuil, 2008).

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Adolescence indéfinie, adolescence infinie

Interview de Jean-Marie Lacrosse paru, en version légèrement différente, dans Le Ligueur du 18 mars 2009 sous le titre « Ils veulent de l’éducation mais ne veulent pas être éduqués ».

Entre la culture et les jeunes, aujourd’hui, c’est le clash ?

Ca dépend de quelle culture on parle. Ce qui est sûr c’est que les jeunes ne manifestent plus d’appétit pour la réflexion et l’ argumentation rationnelle, ni pour la culture du passé. Ils se disent que tout ça les écrase, que c’est trop grand pour eux, que ça passe au dessus de leur tête, surtout par rapport à tout ce qu’ils ont accompli jusque là… Ca les intéresse mais c’est comme si l’on demandait à quelqu’un de courir un marathon alors qu’il n’a jamais couru que de petites distances. En réalité, ils sont les produits d’une société qui leur a appris que la pensée, cad la saisie de l’ensemble du phénomène humain, est à la fois impossible et dangereuse.

Pourquoi arrive-t-on à une telle situation ?

Nous sommes, et de plus en plus, dans l’ère de l’indéfinition. Notre société éprouve une énorme difficulté à définir ce qu’est un enfant, un adolescent, un adulte. Pourquoi ? Parce que, dès la naissance, on considère que l’enfant est une personne à part entière, dotée d’emblée de droits. Bon, très bien… Mais ça instaure un terrible décalage par rapport à ce que nous avons appris sur l’enfance et l’adolescence, principalement via la psychanalyse et, plus récemment, la théorie de la médiation. Lire la suite

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Irène Théry – Une nouvelle approche de l’égalité hommes-femmes : la distinction de sexe

« Voir ce qui change dans la famille quand on cesse d’admettre un principe de complémentarité hiérarchique entre l’homme et la femme au sein du couple (par hypothèse marié), m’a amenée à prendre conscience d’un problème que les psychologues, les psychiatres et les psychanalystes connaissent bien : notre société contemporaine est devenue extraordinairement aveugle à la façon dont se combinent les distinctions de sexe, d’âge et de génération, autrement dit à la dimension de la temporalité, qui est pourtant la caractéristique majeure de la façon dont toute société distingue et lie les sexes. » (extrait de La distinction de sexe. Entretien, Esprit, mai 2008, pp. 12-23)

Irène Théry est directrice d’étude à l’EHESS. Elle est notamment l’auteur de « Le démariage » (Odile Jacob, 1993) et « La distinction de sexe » (Odile Jacob, 2007).

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Dominique Ottavi – L’expérience quotidienne de l’enfant

Il y a toutes les raisons de penser que les conditions de vie de l’enfant dans la société industrielle et urbaine le privent de l’expérience nécessaire à ses futurs apprentissages (…). Elles tendent à lui enlever les contacts avec les adultes et les occasions de s’exercer à la vie sociale qui sont les ressorts indispensables de ses acquisitions. Bref, les conditions de l’existence objectives que nos sociétés ménagent à l’enfant paraissent aller directement à l’encontre des conditions de possibilité de l’éducation. » (extrait de Conditions de l’éducation, Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, Stock, 2008)

Dominique Ottavi est professeur à l’université de Caen. Elle est notamment l’auteur de « De Darwin à Piaget : pour une histoire de la psychologie de l’enfant » (CNRS Editions, 2002) et vient de publier en collaboration avec Marie-Claude Blais et Marcel Gauchet, « Conditions de l’éducation » (Stock, 2008).

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Crise du jugement, société du savoir, néo-libéralisme

Le projet de réforme des Universités initié par le gouvernement français suscite d’importants remous dont la presse française a largement rendu compte tout au long de la semaine écoulée. Au delà des spécificités du système français, ces oppositions engagent une question plus générale et plus profonde, celle de la crise contemporaine du jugement de réalité ainsi que de l’évaluation des travaux et des personnes. C’est cette question, en lien direct avec la création de notre Collège de Philosophie Politique, que s’est attelé à traiter au fond le philosophe Marcel Gauchet ce mercredi 4 février, lors de son séminaire de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (www.ehess.fr). Ayant jugé utile de donner à ce diagnostic un large retentissement, nous l’avons mis en ligne sur notre site où vous pouvez l’écouter  :

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Voici quelques extraits de ce séminaire dont nous vous souhaitons une bonne écoute :

« Ces politiques de l’Université et de la recherche relèvent d’une pente lourde de notre monde qui vient de loin et qui dépasse de loin le cas du gouvernement du moment (…). Les politiques mises en oeuvre sont les politiques générales préconisées par l’expertocratie internationale, OCDE en tête, les politiques encouragées par les autorités européennes, Bologne, Lisbonne, un peu partout à l’oeuvre dans notre monde au nom des impératifs de la prétendue société du savoir(…). Le néo-libéralisme, dont nous étudions la genèse, comporte une composante épistémique importante. Il est animé par une certaine idée de la connaissance et du savoir et de son rôle dans la vie sociale. Il est inséparable d’une redéfinition de ce que veut dire savoir, celle-là même qui est en train de nous rattraper et qui inspire de manière plus ou moins confuse les politiques gouvernementales (…). Ce qui amène à poser la question des motifs de l’anesthésie de la pensée dans notre monde, anesthésie dont le néo-libéralisme est à beaucoup d’égards la théorisation (…). C’est pourquoi la bataille se déroule à l’intérieur de l’Université et de la recherche et sur le terrain des institutions du savoir. Car le néo-libéralisme s’avance au nom de la perspective de la marche vers une société de la connaissance et du savoir. Mais quelle connaissance et quel savoir? Tout est là.« 

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Cycle 2009 : Du bébé à l’adolescent, l’ère de l’indéfinition

Vous pouvez réécouter l’ensemble des conférences que nous avons organisé pour ce cycle.

Il vous suffit de cliquer sur l’intitulé de chaque conférence pour accéder à la page qui lui est consacrée reprenant l’enregistrement audio et, éventuellement, l’enregistrement vidéo ou la retranscription écrite via une publication.

Le mal de l’indéfinition progresse lentement mais sûrement. Cette année encore le CePPecs s’intéressera tout particulièrement à ceux d’entre nous qu’il touche en premier lieu.

L’évolution des représentations du nouveau-né, qui a conduit à considérer le bébé comme un être immédiatement inscrit dans la réalité sociale, s’est accompagnée dans le domaine éducatif d’une rupture croissante avec la dite réalité. Les conditions de vie objectives des enfants les privent aujourd’hui de toute occasion de s’exercer à la vie sociale et de savoir l’expérience qu’ils vivent. S’y substitue un accès au monde via les médias qui contribue à cette déréalisation du fait, entre autres, du statut symbolique particulier de l’image.

Les effets de cet abandon du principe de réalité vont prendre un relief particulier et s’accentuer au moment de l’adolescence de par les enjeux spécifiques de cette période de la vie. Par exemple, la mise en scène de soi comme corps sexué pour autrui. Il ne reste alors pour certains que la fête comme refuge provisoire face à une exigence sociale qui se fait de plus en plus impérieuse alors même qu’elle est déniée.

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