Enseignement : PISA et le mirage finlandais

Article écrit par Bruno Sedran et publié dans Pro J, n°3, septembre-novembre 2012.

Aujourd’hui, l’école ne peut que susciter une immense déception face aux attentes démesurées dont elle est investie : autonomie de l’enfant, épanouissement individuel, citoyenneté, égalité, etc. C’est pourquoi, dans la morne plaine des réformes scolaires, médias et politiques armés du gps OCDE calibré sur PISA (International Programme for Student Assessment) ont leurs regards braqués sur un pays européen qui tel une oasis se détache sur la ligne d’horizon : la Finlande. En effet, alors que dans les années 80 le système éducatif finlandais semblait médiocre et que dans les années 90 on ne pouvait voir de l’extérieur de grands changements, les résultats de PISA publiés le 4 décembre 2001 ont pris tout le monde par surprise. Dans les trois domaines académiques – mathématiques, sciences et compréhension à la lecture – la Finlande était une des nations les plus performantes des pays de l’OCDE. On aurait pu croire à un «incident» isolé, le dernier sursaut d’un mourant mais les chiffres étaient bien là et des observateurs des quatre coins du monde se rendirent sur place pour comprendre ce nouveau miracle. D’autant que ce qui s’était produit en 2001 s’est répété ensuite. Jusqu’à la dernière enquête en date, en 2009, les résultats de la Finlande sont toujours aussi bons. Au classement général «Comparaison des performances des pays et des économies», elle se positionne à la troisième place après Shanghai et la Corée du Sud, bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Au niveau de la compréhension à l’écrit et de l’acquisition de la lecture, la Finlande est toujours sur le podium en troisième position derrière les mêmes pays. La Belgique est également au dessus de la moyenne OCDE mais se positionne à la 11ème place (moyenne OCDE 2009 = 493 ; Finlande = 536 ; Belgique = 506). Les résultats sont du même ordre dans la section «culture mathématique» et «culture scientifique». Mais le plus surprenant et le plus important peut-être est que l’incidence du milieu socio-économique dont sont issus les élèves sur les résultats scolaires est très faible en Finlande contrairement à la Belgique (1).

Depuis lors, la Finlande est devenu un foyer d’attraction fascinant pour toute personne qui s’intéresse aux questions d’éducation, véritable paradis pour certains, mystère pour d’autres, source d’inspiration pour beaucoup. Car si, dans l’après-guerre, le débat s’est focalisé sur les méthodes d’enseignement (méthode traditionnelle vs. pédagogies nouvelles), la question éducative est en train de prendre une autre tournure qui permet d’éclairer cet intérêt pour le système finlandais. Ce qui  se joue actuellement tourne de plus en plus autour de la question des conditions et du contenu de l’enseignement.

Mais avant d’ébaucher une analyse de la réussite finlandaise, il convient de se pencher sur ce qu’est le programme PISA et ce qu’il évalue afin de comprendre les résultats.

Qu’évalue PISA ?

Le programme PISA est une vaste enquête d’évaluation internationale des systèmes éducatifs menée tous les trois ans dans une cinquantaine de pays (les 34 pays de l’OCDE et des pays partenaires). Ce programme a été développé par l’OCDE et mis place en 2000 pour évaluer les acquis des jeunes de 15 ans avec comme conviction que l’instruction est la source du développement. Les tests, conçus comme indépendants de tout programme scolaire, portent sur ce que l’OCDE identifie comme le bagage nécessaire de connaissances et de compétences pour affronter la vie aujourd’hui, quelle que soit sa place dans la société. Les domaines soumis à l’évaluation sont la lecture, la culture mathématique, la culture scientifique et la résolution de problème («reading literacy», «mathematical literacy», «science literacy» et «problem solving»). De plus, PISA s’intéresse également à de nombreuses données contextuelles : données socio-économiques et cultures des pays et des familles, données relatives aux institutions scolaires, aux classes et aux types de pédagogies mais aussi  aux données personnelles relatives aux élèves.

Penchons-nous un peu plus sur le dispositif en tant que tel car il est nécessaire d’avoir à l’esprit plusieurs éléments qui n’enlèvent rien à la pertinence de ces études mais qui aident à délimiter le cadre et donc les interprétations que l’on peut en retirer.

Tout d’abord, l’enquête «évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire» (source PISA), qui se résume dans chaque discipline académique par le terme anglais de «literacy» dont la traduction courante par le mot culture n’est pas adaptée. C’est peut être le terme français «alphabétisation» ou «alphabétisme» qui s’en rapproche le plus. En effet, ce terme renvoie à des capacités d’analyse, de raisonnement et de communication face à des problèmes relevant de matières spécifiques. L’enquête ne s’attache donc pas à évaluer la qualité des acquis scolaires mais bien des compétences. Comme les performances des élèves dans les disciplines scolaires précitées sont évaluées en tenant compte d’un nombre bien plus large de compétences jugées nécessaires pour réussir dans la vie, il a fallu définir des «compétences clés». C’est pourquoi avant PISA, en 1997, l’OCDE a lancé le programme DeSeCo (Definition and Selection of Competencies) dirigé par la Suisse, dans le but de créer un cadre conceptuel en vue de définir et de sélectionner des compétences clés nécessaires aux individus pour réussir dans la vie et contribuer au bon fonctionnement de la société. Ce cadre conceptuel a classé les compétences clés en trois catégories. La première est la capacité des individus à se servir d’outils pour entrer en interaction avec leur environnement (langue, technologie, etc.). La deuxième est la capacité d’interagir dans des groupes hétérogènes et donc d’entrer en relation avec autrui. La troisième compétence, enfin, est la capacité d’agir de façon autonome. Ces catégories sont bien entendu interdépendantes.

Comme l’écrit l’OCDE, «s’il est vrai que les évaluations se déroulent toujours essentiellement sous la forme d’épreuves papier-crayon qui mettent surtout l’accent sur la capacité à utiliser le langage, les symboles et les textes de manière interactive, des progrès considérables ont été accomplis sur la voie de l’élaboration de tests permettant de déterminer dans quelle mesure les adolescents et les adultes possèdent des compétences clés»  (Source DeSeCo). C’est donc sur cette base que PISA cherche à évaluer les élèves et définit les domaines à évaluer :

«- Comprendre l’écrit, c’est non seulement comprendre et utiliser des textes écrits, mais aussi réfléchir à leur propos. Cette capacité devrait permettre à chacun de réaliser ses objectifs, de développer ses connaissances et son potentiel et de prendre une part active dans la société.

– La culture mathématique est l’aptitude d’un individu à identifier et à comprendre le rôle joué par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur propos et à s’engager dans des activités mathématiques, en fonction des exigences de sa vie en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi.

La culture scientifique est la capacité à utiliser des connaissances scientifiques pour identifier les questions auxquelles la science peut apporter une réponse et pour tirer des conclusions fondées sur des faits en vue de comprendre le monde naturel ainsi que les changements qui y sont apportés par l’activité humaine et de contribuer à prendre des décisions à leur propos.» (Source DeSeCo)

Mais si le programme DeSeCo donne un cadre, il faut préciser que les réflexions théoriques et méthodologiques menées par les scientifiques n’ont pas débouché sur un consensus car la sélection précise des compétences clés s’est heurtée à un problème de fond. Comme l’écrit la sociologue Nathalie Bulle, «le caractère aventureux et réducteur a priori de compétences et qualités générales attendues de la part du citoyen moderne fut souligné » (2). En effet, à chaque compétence clé pouvait être associée son opposé, par exemple, « la sociabilité même n’est pas apparue comme un réquisit universel, l’asociabilité de l’artiste ou du savant devant être aussi ‘‘autorisée’’» (3).

Ces difficultés théoriques sont à porter à la notion même de compétence, une notion issue du monde managérial et d’une certaine lecture de l’activité professionnelle. La compétence n’est pas directement liée à un diplôme mais plutôt à l’idée qu’il faut acquérir des savoirs et des savoir-faire pour faire face à diverses situations professionnelles. La définition des types de compétences tend aussi à prendre rapidement des «allures d’auberge espagnole» (4) car les compétences peuvent revêtir des aspects très différents selon les spécialistes : générale, spécifique, transversale, technique, etc. Lorsqu’on transforme les compétences en objectifs de formation, elles tendent à se restructurer sous forme d’ensembles et de sous-ensembles qui s’emboitent les uns dans les autres. Cette perspective, qui semble au départ être pragmatique et fonctionnelle, s’avère au finale assez floue et répond à une vision particulière de l’éducation. «Appliqués à l’enseignement, la logique des compétences et ses outils d’évaluations érodent les finalités spécifiques de l’école dans un sens étroitement adaptatif et favorisent le développement d’un rapport utilitariste à la culture. Elle est négation pratique de la culture comme élément essentiel de ce qui fait l’humain» (5). On voit  pointer ici un véritable paradoxe car cette conception utilitariste de l’éducation évacue la dimension institutionnelle. Or c’est précisément parce que l’école n’est pas qu’un lieu d’apprentissage scolaire mais également un lieu où l’on apprend un rapport au monde – ce qui lui confère son statut d’institution – qu’on a voulu introduire la notion de compétence. Mais cette notion éclipse le fait que si l’école apporte toute une série d’apprentissages, elle est également un espace qui soutient le lien entre individuation et individualisation, c’est-à-dire la construction d’une entité autonome en lien avec la capacité de l’individu de s’inscrire dans un ensemble et de s’identifier aux autres.

Revenons aux enquêtes PISA. Si les résultats de ces enquêtes révèlent des éléments intéressants, il ne faut pas perdre de vue qu’elle n’ont pas pour objectif principal d’améliorer les systèmes scolaires puisqu’elles ne s’intéressent pas aux programmes scolaires mais aux compétences finalement acquises et favorisent donc en définitive «un esprit de compétition au service des politiques néolibérales favorisées par l’OCDE» (6), une culture où ce sont les chiffres qui gouvernent.

La question est maintenant de savoir si la réussite à PISA garantit que les élèves seront à même de remplir un rôle social et économique ou d’arriver à faire face aux défis que réserve le futur. Comme le démontre Nathalie Bulle, l’enquête évalue des compétences à la résolution de problèmes de type académiques mais non prédéfinis par les savoirs disciplinaires et celles-ci entretiennent des relations étroites avec les capacités à réussir des études. En effet, les résultats obtenus par les élèves dans les différentes matières sont fortement corrélés et sont d’autant plus importants lorsque les scores au niveau de la lecture sont élevés. Si on compare la réussite des élèves à PISA et la réussite de ces mêmes élèves à d’autres tests fondés sur les programmes scolaires, on aperçoit une forte corrélation révélant par la même occasion l’existence d’une «dimension commune forte qui sous-tend la réussite aux deux types de questions, axées sur des situations de la vie de tous les jours, dans un cas, et sur des problèmes liés aux programmes d’enseignement, dans l’autre» (7).

Ce qu’évalue PISA, c’est la capacité générale des élèves à poursuivre des études et non des compétences qui seraient plus en lien avec le bien-être social et le potentiel socio-économique futur des individus. Dans ce sens, le niveau d’un pays à PISA est le reflet du développement chez le plus grand nombre d’élèves d’un potentiel académique de base, d’un bagage éducatif lié aux disciplines scolaires, et non la qualité des connaissances. Cela signifie que les pays où on constate très peu d’échecs scolaires sont ceux qui élèvent la moyenne globale de la population scolaire sur cette échelle de potentiel académique. Or ce succès en termes de potentiel académique, de possibilité de poursuivre des études, ne se traduit pas nécessairement en performances académiques comme nous le verrons par la suite.

En somme, cela signifie que PISA évalue un potentiel académique de la population scolaire qui est très peu dépendant des acquis spécifiques dans chaque matière développés par les systèmes éducatifs. Ce potentiel académique «est dépendant de la faiblesse de l’échec scolaire précoce et, corrélativement, de la réussite des premiers apprentissages», affirme Nathalie Bulle (8). Pour comprendre ces deux facteurs, il faut convoquer des éléments qui sont d’ordres institutionnels et socio-culturels comme nous allons le voir avec le cas finlandais.

Le cas finlandais

S’intéresser à la réussite finlandaise, c’est s’intéresser à l’histoire de la Finlande et pas seulement à l’histoire de sa politique éducative. «Les politiques d’éducations sont nécessairement entrelacées avec d’autres politiques sociales, et avec la culture politique globale d’une nation. Le facteur clé du succès dans le développement en Finlande d’une économie de la connaissance performante avec une bonne gouvernance et un système éducatif respecté, a été sa capacité à dégager un large consensus sur la plupart des questions importantes concernant les orientations futures de la Finlande en tant que nation » écrit Pasi Sahlberg (9), auteur de l’ouvrage «Finnish Lessons» et directeur général du CIMO (Centre for International Mobility and Cooperation) au Ministère finlandais de l’éducation et de la culture. Il ajoute que «l’éducation en Finlande est considérée comme un bien public et a donc une fonction d’édification nationale» (10). Pour comprendre les racines de la réussite du système scolaire finlandais, il faut prendre en considération certains aspects inscrits dans la culture et l’histoire finlandaise.

Les finlandais sont un peuple ancien avec une langue, une culture et une mythologie dont les origines ne sont pas indo-européennes. De par sa situation géographique, la Finlande est inscrite à la frontière entre l’Est (la Russie) et l’Ouest (la Suède). Elle fut pendant six siècles sous la domination de l’Empire Suédois. En 1809, lors de l’accord Tilsit entre Napoléon Bonaparte et le tsar Alexandre 1er, la Finlande passa sous celle de l’Empire Russe. La Finlande reçut alors le statut d’un Grand-duché autonome ce qui lui permit de conserver ses institutions, d’anciennes lois suédoises et la religion luthérienne. C’est lors de cette période que le sentiment national finlandais a pris forme et que l’école, où l’enseignement n’était pas le russe mais soit le finnois, soit le suédois, a commencé à jouer un rôle culturel de plus en plus important. La Finlande déclara son indépendance en 1917 mais en 1918 éclata une guerre civile où les «Rouges» (Parti Social Démocrate Finlandais) soutenus par le mouvement révolutionnaire soviétique et les «Blancs» (les conservateurs), s’affrontèrent. Cette guerre civile qui fit de nombreux morts se termina par une victoire des «Blancs» avec le soutien de troupes de l’Empire Allemand. Cette victoire mit fin à l’hégémonie russe sur la Finlande et fit passer le pays dans la sphère d’influence allemande.

En 1941, l’attaque de l’URSS par le Reich Allemand lors de l’opération Barbarossa fait de la Finlande une alliée de facto de l’Allemagne. Mais si la Finlande et le régime Nazi sont alliés, du point de vue finlandais, ils ne se battent pas contre l’URSS pour les mêmes raisons. Cette alliance a d’ailleurs coûté beaucoup aux finlandais au profit de l’URSS lors de l’armistice (un coût évalué à 7% du PIB).

Ces différents éléments historiques, à savoir être un pays tampon qui a subi plusieurs dominations mais aussi le traumatisme des différentes guerres, ont eu notamment comme effet d’unir les finlandais et de structurer une certaine identité nationale. Il faut voir dans l’ensemble de ces expériences le terreau des politiques sociales de l’après-guerre où l’éducation joue un rôle central tant au niveau des transformations sociales qu’économiques, notamment avec le développement d’un système éducatif équitable pour l’ensemble des jeunes finlandais. La nation finlandaise devant se fonder sur le savoir et les savoir-faire, l’éducation était vue comme la  principale fondation pour construire le futur.

Autre élément historique significatif : l’industrialisation et l’apparition d’une société de services tardive mais soudaine entre 1945 et 1970 qui ont apporté de nombreux changements importants. En effet, la transition d’un modèle agraire à une société industrielle s’est réalisée sur une courte période à tel point que modèle traditionnel et moderne cohabitent ensemble dans une articulation singulière entre individualisme et collectivisme.

Tous ces éléments socio-historiques ont eu une influence sur les facteurs institutionnels liés à la réussite du système éducatif finlandais qu’il faut maintenant détailler.

Au niveau institutionnel, il est saisissant de voir à quel point les enseignants finlandais jouissent d’un statut particulier et représentent une filière de carrière aussi enviable chez les jeunes que celle d’avocat ou de médecin. Ce statut prestigieux n’est pas lié à un salaire extraordinaire mais plutôt au sentiment qu’être enseignant signifie être la clé de voûte de la transmission de leur culture au regard de l’histoire, condition de la construction de leur nation et de la défense de leur identité. En 2010, 6600 candidats à la formation d’enseignant se sont présentés alors qu’elle ne comptait que 660 places ! On retrouve l’importance de ce rôle dans l’organisation de la formation initiale des enseignants. Celle-ci est de niveau universitaire et fortement axée sur la recherche en pédagogie influencée par les pédagogies nouvelles. En effet, dans les années 1990, les pédagogues finlandais se sont tournés vers les nouvelles méthodes éducatives centrées sur l’élève en provenance du monde anglo-saxon. Mais, comme le précise Hannu Simola, au grand étonnement de tous, une équipe de chercheurs anglais ont constaté en 1996 que les modalités d’apprentissage dans les classes étaient toujours fortement liées à la pédagogie traditionnelle (enseignement frontal) et que l’individualisation de l’enseignement n’était pas si importante. Ce constat, à savoir l’utilisation persistante des méthodes traditionnelles, est le reflet de l’importance mise sur le contenu des savoirs à transmettre mais aussi de la confiance qu’une grande partie des parents ont dans les enseignants et dans leur rôle de transmission culturelle, une confiance qui amène les élèves à partager ce regard ainsi qu’une forme de respect qui n’empêche pas une certaine familiarité. Cette confiance de la société s’illustre également par une autonomie accordée aux écoles et aux enseignants en termes de méthodes et de programme mais également par le fait qu’il n’y a pas d’inspection éducative qui contrôle l’ensemble. La question des méthodes d’apprentissages et de la mise en avant de l’enfant dans la construction de ses savoirs à travers les interactions n’a pas eu pour effet d’évacuer la dimension de transmission car ce qui importe est l’acquisition d’un héritage culturel commun.

D’un autre côté, cette importance liée à la transmission n’est pas unilatérale car pour mettre en place un système éducatif global et équitable d’un point de vue socio-économique, la Finlande a institutionnalisé un encadrement différencié, c’est-à-dire une forme d’individualisation au niveau des méthodes d’apprentissage. Dès qu’un enseignant identifie des problèmes sociaux, d’apprentissage ou de comportement, cela débouche sur une aide professionnelle fournie aux élèves le plus tôt possible à travers une éducation spéciale à temps partiel (individuelle ou en groupe) ou à temps plein (classes). En 2008-2009, un tiers des élèves avait été impliqué dans une de ces deux formes de remédiation et de rattrapages. Cet enseignement spécial n’est pas stigmatisé ni stigmatisant car d’abord il est très efficace et permet de terminer son cursus, ensuite, beaucoup d’étudiants passent par cet itinéraire scolaire et enfin, la détection est réalisée très tôt, au niveau de l’enseignement primaire, ce qui a pour effet de permettre aux étudiants de retourner rapidement dans le système normal car l’école fondamentale est la même pour tous de 9 à 16 ans.

Comme le précise Pasi Sahlberg, le succès du système éducatif finlandais est sans doute basé avant tout sur les institutions qui plongent leurs racines dans le passé et qui permettent à l’ensemble des jeunes de s’inscrire dans la société mais aussi sur les structures mises en places dans les années 1970 et 1980 qui ont favorisé une équité au niveau scolaire, une forme de solidarité nationale. Les changements et les améliorations des années 1990 n’ont eu qu’une importance relative malgré que ceux-ci se sont plus concentrés sur les questions des méthodes d’apprentissages ou sur les améliorations du système éducatif (mise en réseau, lien avec le monde économique,etc.).

Le problème des mathématiques

Nous venons de voir un certain nombre d’éléments qui permettent de comprendre la réussite finlandaise à PISA en termes de potentiel académique. Or malgré ce succès, George Malaty, de l’Université de Joensuu, pointe le fait que, depuis sa première participation en 1965 aux Olympiades Internationales de Mathématiques, la Finlande n’a obtenu que des succès mitigés : sur 39 participations une seule médaille d’or, sept d’argent et 48 de bronze. Mais surtout, les mathématiciens finlandais s’accordent sur le constat que le niveau des mathématiques à l’école et le niveau des étudiants à l’entrée dans l’enseignement supérieur est faible. Cet écart entre les résultats à PISA et la réalité de l’enseignement des mathématiques s’explique par le fait que PISA mesure les compétences en mathématiques ou, pour le dire autrement, l’alphabétisation mathématique, et non pas les mathématiques comme structure en termes de relations et de concepts. L’enseignement des mathématiques en Finlande est en parfaite adéquation avec la philosophie de PISA. Il se concentre aujourd’hui essentiellement sur «Les mathématiques de tous les jours», l’inculcation de règles pratiques, d’astuces, et l’entrainement pour les utiliser de manière quasi mécanique afin de répondre à des questions qui tournent autour de la résolution de problèmes issus du quotidien. Cette formation se fait aux dépens d’un apprentissage des structures et de la logique, c’est-à-dire de l’ensemble des fondations sur lesquelles l’enseignement supérieur peut s’appuyer.

L’exemple des mathématiques permet donc de relativiser le succès du système finlandais, un succès en termes de potentiel académique mais qui ne se traduit pas de manière comparable en performances académiques et s’illustre par des difficultés importantes rencontrées par les élèves au niveau de l’enseignement supérieur.

Alors, miracle ou mirage ?

Si du fait de la soudaineté de ses résultats, le terme de miracle s’est imposé lorsqu’on parlait du système éducatif finlandais, il apparaît aujourd’hui davantage comme un mirage. Notre focalisation obsessionnelle sur les classements ne nous a fait voir dans la réussite finlandaise que les éléments que nous désirions mettre en avant, à savoir un système éducatif équitable et efficace. Or, les éléments de ce système qui accaparent le plus souvent l’attention (individualisation, performance des enseignants, tronc commun, autonomie,…) ne sont peut-être pas les éléments décisifs sur le long terme et cachent la vraie nature de la réussite finlandaise qui se trouve dans ses racines sociohistoriques.

En somme, la Finlande a une politique scolaire qui présente une articulation hautement paradoxale entre tradition et modernité. Il y est en effet toujours possible d’enseigner de manière traditionnelle car les enseignants croient en ces méthodes et les étudiants acceptent cette position dissymétrique traditionnelle, le tout dans un cadre moderne en lien avec le monde économique. Hannu Simola résume en une phrase le secret de la réussite à PISA : «La curieuse coexistence contingente de tendance traditionnelles et post-traditionnelles dans le contexte d’un Etat providence et d’une massification scolaire» (11). Le plus significatif étant un lien très fort entre la société et l’institution éducative que traduit cette confiance de la société finlandaise en son système scolaire et le prestige accordé aux professeurs en qui elle voit de véritables artisans de la nation. Ce modèle éducatif qui de l’extérieur semble entièrement orienté vers l’avenir repose en réalité essentiellement sur le passé. La vraie question qui se pose aujourd’hui en Finlande est de savoir ce qui va se passer lorsque la société ne croira plus dans cette mission traditionnelle et culturelle des enseignants ou, de l’autre côté de la relation éducative, lorsque les élèves n’accepteront plus leur position d’élèves.

Bruno Sedran

(1) Pourcentage de la variance de la performance des élèves expliquée par le milieu socio-économique de ceux-ci en 2009 : Finlande = 8 ; Belgique = 19 ; Moyenne OCDE = 14 (Source enquête PISA 2009).

(2) Nathalie Bulle (2010), L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France, p. 316

(3) Ibid., p. 316

(4) Jean-Pierre Le Goff (1999), La barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école, p. 29

(5) Ibid.,  p. 45

(6) Nathalie Bulle (2010), L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France, p. 315

(7) Ibid., p. 318

(8) Ibid., p. 331

(9) Pasi Sahlberg (2011), Finnish Lessons. What can the world learn from educational change in Finland ?, p. 39

(10) Ibid., p. 39

(11) Hannu Simola (2005), The Finnish miracle of PISA : historical and sociological remarks on teaching and teacher education, Comparative Education, vol.41, n°4. p. 466

Bibliographie

OCDE (2010), Résultats du PISA 2009 : Synthèse.

OCDE (26/08/2005),  La définition et la sélection des compétences clés : Résumé.

Antoine Bodin (2006), Un point de vue sur PISA, Gazette des mathématiciens, n°108, avril 2006, pp. 54-59.

Nathalie Bulle (2010), L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France, Paris: Herman

Jean-Pierre Le Goff (1999), La barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école, Paris: La découverte.

George Malaty,  PISA Results and School Mathematics in Finland : strengths, weakness and future in Proceedings of the Ninth International Conference of The Mathematics Education into the 21st Century Project: Mathematics Education in a Global Community, Charlotte: The University of North Carolina, pp. 420-424.

George Malaty,  What are the reasons behind the success of Finland in PISAGazette des mathématiciens, n°108, avril 2006, pp. 59-66.

Osmo Pekonen, Un aperçu du système éducatif finlandais, Gazette des mathématiciens, n°108, avril 2006, pp. 49-53.

Pasi Sahlberg (2011), Finnish Lessons. What can the world learn from educational change in Finland ?, Columbia: Teachers College. (L’introduction de l’ouvrage ainsi que des informations sur l’auteur sont disponibles sur le site http://www.finnishlessons.com )

Hannu Simola (2005), The Finnish miracle of PISA : historical and sociological remarks on teaching and teacher education, Comparative Education, vol.41, n°4, 455-470

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