Les programmes, la pédagogie, le métier d’enseignant

Suite à l’interview de Vincent Peillon, que nous avons publié ce lundi 2 septembre, Le Monde a proposé le compte-rendu suivantNous en avons extrait les commentaires d’un lecteur dont la pertinence n’échappera à personne et en premier lieu aux plus directement concernés, les enseignants.

Rédigé par « persoga » le 2 septembre 2013 à 20:00

Si réellement cette déclaration d’intention est suivie d’effets, on ne peut que s’en féliciter. Aujourd’hui, tout se passe comme si les programmes (du moins ceux d’histoire-géo que je pratique) étaient conçus par des gens complètement ignorants de la réalité du public et des conditions d’enseignement du secondaire. Autrement dit, des experts (inspecteurs généraux et universitaires) apparemment déconnectés du terrain pondent des programmes fleuves irréalistes en l’état, parce que beaucoup trop chargés au regard du temps alloué pour chaque thème, et d’une difficulté conceptuelle relevant bien souvent davantage du supérieur que du secondaire. Le résultat est que pour les traiter correctement, l’année scolaire devrait être allongée d’au moins un trimestre si l’on souhaitait approfondir chacun de ces thèmes de manière à ce que la grande majorité des élèves puisse les assimiler de manière à peu près satisfaisante. La conséquence de ce constat, c’est que les derniers thèmes passent généralement à la trappe en seconde et en première, où sont bâclés à coup de photocopies en terminale, quand les enseignants ne renvoient pas purement ou simplement leurs élèves à des manuels souvent abscons et de qualité fort inégale selon les thèmes. D’autant que pour ce dernier niveau, les décideurs des sujets du bac ont la perversité de donner systématiquement un ou plusieurs sujets portant sur la fin du programme pour obliger les profs à le traiter intégralement, sans ce soucier du fait qu’ils le sont par la force des choses de façon expéditive et superficielle.

De plus, ces mêmes experts semblent concevoir ces programmes pour un élève idéal dont il existe très peu de spécimens dans nos classes, à savoir un élève qui a parfaitement mémorisé et compris toutes les informations et notions reçues depuis la sixième, parfaitement lecteur et scripteur, d’une culture générale digne d’un étudiant de licence et d’une capacité de travail que lui envierait Stakanov en personne. Bref, la logique qui prévaut à leur conception relève d’une planification impérative où le quantitatif a la part belle sur le qualitatif, et ce en dépit des objectifs pédagogiques extrêmement ambitieux dont on les enrobe. En d’autres termes, atteins les objectifs du plan, camarade, et peu importe si la moitié du troupeau crève en route ou que la moitié de la récolte soit bonne à jeter !

Conclusion, ces programmes irréalistes a priori sont inexorablement condamnés à être élagués a posteriori, après une année d’expérimentation qui confirme ce que tous les praticiens avaient prévu, à savoir qu’une barque trop chargée ne peut que couler. Ce qu’on appelle pudiquement les « allègements de programme », réalisés en première l’année dernière, et en terminale cette année. On gagnerait donc beaucoup de temps et on épargnerait autant de stress aux profs et aux élèves si on consultait en amont les mieux placés pour savoir ce qui est raisonnablement exigible des élèves, à savoir les enseignants eux-mêmes.

Deuxième point, cette obsession de l’ « innovation », considérée comme le critère ultime de la compétence professionnelle. Cette sidération méconnaît le fait que les fondamentaux de la pédagogie sont pourtant connus depuis l’antiquité (maïeutique, imitation, répétition, progressivité du simple vers le complexe, du général vers le particulier, de la théorie vers la pratique, de la règle vers son application, etc.) et que toutes les « innovations » en la matière que sont que la résurgence cyclique des mêmes vieilles lunes, qui ne consistent souvent qu’à inverser les termes de ces mêmes fondamentaux : étude de cas particulière précédant l’étude générale (qui oblige pourtant le prof à la « contextualiser » de manière redondante si l’on veut que les élèves en comprennent la portée ), exercices d’application pratiques donnés préalablement à l’enseignement de la règle théorique pour obliger l’élève à la retrouver tout seul dans la douleur, quand il y parvient… Bref, à mettre la charrue avant les bœufs, en espérant que ça marche. Ce qui peut être le cas pour une élite, mais qui désoriente et désespère souvent la masse, quand elle ne finit pas par prendre la partie pour le tout, où l’exception pour la règle. Ce qu’on présente comme une « innovation » contemporaine a en fait presque toujours été expérimenté dans le passé sans résultats nécessairement probants, comme la fameuse pédagogie par objectifs qui remonte aux années cinquante, voire encore plus loin, et qu’on nous ressort actuellement sous le vocable de « contrat de confiance ». Sans parler de la démagogie qui consiste à dire que l’élève est tout aussi compétent pour « construire son savoir » que l’enseignant, dont on finit par se demander à quoi il sert.

Bien sur, il ne s’agit pas de récuser en bloc tous les efforts accomplis pour rendre le savoir plus attractif et accessible et de s’interdire d’innover, mais de ramener les « pédagogistes » à plus d’humilité, en leur rappelant que le talent pédagogique relève davantage d’un art que d’une science, et avant tout d’une aptitude personnelle à communiquer et à transmettre un savoir maîtrisé, quelle que soit la méthode employée. D’autant que cette croyance que l’échec scolaire procède avant tout de méthodes erronées ou inadaptées revient à nier tous les déterminismes à l’œuvre dans les mécanismes de reproduction sociale et à renvoyer in fine sur l’élève toute la responsabilité personnelle de son échec. Bref, dans mon expérience personnelle et de prof et d’élève, les meilleurs profs ne sont pas les plus innovants, mais les plus talentueux (au sens où ils parviennent à intéresser et à motiver leurs élèves) et les plus consciencieux.

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