Pierre Clastres et la révolution copernicienne de l’anthropologie politique

Tous ceux qui ont fréquenté la pensée de Pierre Clastres, accidentellement décédé il y a 32 ans, en 1977, ont été saisis par la dimension proprement révolutionnaire de son oeuvre. Pourtant son immense apport du point de vue de la philosophie politique, de l’anthropologie, de la poésie, de l’écriture s’est soldé par un silence prolongé autour des questions qu’il a soulevées. La philosophie politique aussi bien que l’anthropologie contemporaine sont quasi-unanimement restées aveugles à cette révolution « copernicienne » -ainsi qu’il la qualifiait lui-même- et maintiennent une pesante chape de plomb sur ces questions.

La découverte de l’institution de la réciprocité par Marcel Mauss, de la parenté par Levi-Strauss et des institutions politiques « primitives » par Pierre Clastres sont cependant bien les trois jalons essentiels de la discipline anthropologique au 20ème siècle.

Nous avons mis en ligne une compilation de ses principales interventions radiophoniques.

Quant à la révolution copernicienne que nous évoquons, voici quelques citations qui en ramassent la substance :

« Même dans les sociétés où l’institution politique est absente (par exemple, où il n’existe pas de chefs), même là le politique est présent, même là se pose la question du pouvoir : non au sens trompeur qui inciterait à vouloir rendre compte d’une absence impossible, mais au contraire au sens où, mystérieusement peut-être, quelque chose existe dans l’absence. Si le pouvoir politique n’est pas une nécessité inhérente à la nature humaine, c’est-à-dire à l’homme comme être naturel (et là Nietzsche se trompe), en revanche il est une nécessité inhérente à la vie sociale. On peut penser le politique sans la violence, on ne peut pas penser le social sans le politique: en d’autres termes, il n’y a pas de société sans pouvoir.(…) C’est de révolution copernicienne qu’il s’agit. En ce sens que, jusqu’à présent, et sous certains rapports, l’ethnologie a laissé les cultures primitives tourner autour de la civilisation occidentale, et d’un mouvement centripète, pourrait-on dire. Qu’un renversement complet des perspectives soit nécessaire, c’est ce que nous paraît démontrer d’abondance l’anthropologie politique. (…) Pour échapper à l’attraction de sa terre natale et s’élever à la véritable liberté de pensée, pour s’arracher à l’évidence naturelle où elle continue à patauger, la réflexion sur le pouvoir doit opérer la conversion « héliocentrique » : elle y gagnera peut-être de mieux comprendre le monde des autres et, par contrecoup, le nôtre. »

Extrait de « Copernic et les sauvages », chapitre 1 de La société contre l’Etat, Minuit 1974

Télécharger la conférence au format mp3 (clic droit « Enregistrer sous… ») :

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